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Et si la course mondiale à l’hydrogène modifiait la géopolitique de l’énergie ?

L’hydrogène apparaît comme la principale alternative décarbonée aux énergies fossiles. Les tensions énergétiques pourraient accélérer des programmes prévus sur le long terme et redessiner rapidement les relations géostratégiques selon l’analyse de Philippe Copinschi, expert des questions énergétiques internationales et africaines.

 La course mondiale à l'hydrogène s'accélère du côté des grandes puissances bien sûr, mais également d'autres pays qui sont actuellement dépendants des énergies fossiles. L'Australie, le Maroc, le Chili et l'Inde pourraient ainsi devenir exportateurs d'hydrogène vert alors qu'aujourd’hui ils importent du pétrole et/ou du gaz naturel. À l'inverse, certains fournisseurs historiques d'énergie fossile font face à d’importantes difficultés : le Moyen Orient et l’Afrique du Nord souffrent du manque d’eau, la désalinisation de l’eau de mer risquant de renchérir le coût de production. De son côté, la Russie peine à trouver les capitaux et les partenaires indispensables au développement des infrastructures et ce bien avant la guerre russo-ukrainienne. 

67 000 tonnes d’hydrogène par an

Certains pays anticipent ce changement des rapports de force. L'Allemagne joue la carte de la « diplomatie de l’hydrogène », en signant des accords avec l’Inde, le Canada pour devenir un importateur privilégié d’hydrogène vert.

D’autres investissent : les États-Unis s’appuient sur leur parc de 96 centrales nucléaires pour produire de l’hydrogène en grande quantité ce qui leur permettrait d’être les plus compétitifs sur le marché. La Chine a lancé un projet en Mongolie combinant parcs solaires et éoliens, pour produire 67 000 tonnes d’hydrogène par an. L’Arabie Saoudite annonce la construction de la plus grande centrale de production d’hydrogène vert au monde. Elle comprendra 120 électrolyseurs de 40 mètres de long ainsi que des installations solaires et éoliennes ayant une puissance totale de 4 gigawatts.

3 phases de bouleversements géopolitiques

En parallèle, la course à la suprématie technologique est lancée. L’Observatoire de la sécurité des flux et de matières stratégiques de l’IFRI (Institut français des relations internationales) anticipe 3 phases de bouleversements géopolitiques, liées à l’hydrogène vert :

  • à court terme (d’ici 2030), la fabrication d’équipements stratégiques tels que les électrolyseurs et les piles à combustible ;
  • à moyen terme (autour de 2030), la production d’un hydrogène vert concurrentiel avec l’hydrogène bleu (produit à partir de gaz naturel) à l’échelle mondiale, certains pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil étant plus en avance que les autres ;
  • à long terme (après 2030), la relocalisation des industries vers les pays dotés d’un vaste potentiel d’énergies renouvelables. 

Ce calendrier de développement pourrait s’accélérer, si la hausse des prix du gaz rendait moins compétitif l’hydrogène bleu considérée comme plus économique que l’hydrogène vert.

La question du transport devient essentielle

L’Europe mise sur l’hydrogène vert qui pourrait couvrir de 9 à 14 % de ses besoins énergétiques avec l’hydrogène vert en 2050.

La France va engager 9 milliards d’euros d’ici à 2030 pour développer une filière industrielle de production d’hydrogène par électrolyse. Plusieurs gigafactories d’électrolyseurs sont déjà̀ en chantier : John Cockerill à Aspach (Haut-Rhin) en 2022, Genvia (CEA et Schlumberger) à Béziers (Hérault) en 2023, GTT Elogen à Vendôme (Loir-et-Cher) en 2025. En Allemagne, Siemens Energy inaugurera son usine en 2023. Des « vallées de l'hydrogène » vont se déployer en Europe pour interconnecter les différents sites européens.

Outre les enjeux techniques et d’organisation de filières, la question du transport devient essentielle. Des recherches portent sur la transformation de l’hydrogène en gaz, notamment l’ammoniaque, pour le transporter sans avoir recours à des températures très basses et à de fortes pressions. Autre enjeu qui intéresse les mécaniciens : l’adaptation des canalisations fragilisées par le transport sous forme gazeuse avec la nécessité de repenser les vannes et les pompes.

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Si l’hydrogène apparaît toujours comme la principale alternative aux énergies fossiles, la fusion nucléaire, technologie de rupture majeure, mobilise de nouveaux acteurs, tels Google ou Goldman Sachs.

Au point d’être plus rapidement opérationnelle que la solution hydrogène ?

1602854314732« Des recherches portent actuellement sur la transformation de l’hydrogène en gaz. Il s’agirait de combiner l’hydrogène avec du CO2 récupéré́, afin de produire du méthane plus facilement transportable sur les réseaux existants. » 

Bertrand Bello, équipe Veille technologique & stratégique du Cetim.

image-20210318-13-1b4d5ph« Il sera crucial de développer un marché complètement intégré́ et bidirectionnel au niveau de l’UE. L’objectif est d’avoir des flux allant du Sud vers le Nord pendant l'été, lorsque l’Espagne ou l’Italie pourront produire beaucoup d’hydrogène vert à partir d’énergie solaire et l’exporter vers les pays scandinaves par exemple. Puis, il s’agira d’inverser les échanges du Nord vers le Sud pendant l'hiver, lorsque le vent en mer du Nord soufflera plus fort et que les pays riverains pourront exporter des surplus vers les pays de la Méditerranée. »

Philippe Copinschi, enseignant à Paris School of International Affairs, Sciences Po