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Et si la sobriété devenait le nouveau dogme économique ? (1/3)

La crise énergétique et la hausse des prix obligent les entreprises à davantage de sobriété qui, de conjoncturelle, tend à devenir structurelle. À l'heure où l'efficacité énergétique montre ses limites, la sobriété semble être la voie pour réduire l'empreinte carbone. Ce qui vient bousculer le mode de développement traditionnel de l'industrie.

La sobriété : une réponse à la crise énergétique actuelle, mais qui devrait s’installer dans la durée.

L’envolé des prix de l’énergie a économiquement imposé une diminution des consommations d’énergie et de faire preuve de sobriété. Certaines entreprises vont plus loin, à l'image d'une entreprise industrielle ayant mis en place un ambassadeur sobriété, un nouveau rôle dans l'entreprise.

« Mon rôle en tant qu'ambassadeur sobriété dans l’entreprise est de faire prendre conscience à toutes les équipes que si demain on n’a pas accès à l’énergie, on ne pourra pas produire du tout ! Il faut encore beaucoup sensibiliser les équipes à cela et former tous les collaborateurs pour les aider à prendre conscience du coût global que représente le fait de chauffer une usine par exemple, et donc également de la manière de chauffer. »

Au-delà des contraintes actuelles qui poussent à diminuer les consommations, les concepts de sobriété font partie de chaque scénario pour arriver à la neutralité carbone en 2050. 

« La crise énergétique actuelle n’est pas conjoncturelle, mais structurelle », affirme Bruno Lemaire, ministre de l'Économie. Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, précise que « La sobriété, c’est la première marche sur la trajectoire de réduction de 40 % de nos consommations d’énergie ». En 2022, plusieurs organisations telles que RTE, l’Ademe, l’association Negawatt ou encore le Shift Project, ont proposé des scénarios prospectifs qui permettent d’atteindre l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050. Ils prennent en compte toutes les énergies et les matières premières nécessaires à la transition écologique et démontrent la nécessité de sobriété dans les modes de production et de consommation.

La quête de « moins » tout en recherchant du « mieux »

Reste à savoir ce que l'on entend par sobriété. Ce terme regroupe des réalités multiples à travers des démarches de frugalité, simplicité, zéro gaspillage, efficacité, sobriété énergétique, ou encore de déconsommation.

Point commun des diverses approches, la quête de « moins », la modération dans la production et la consommation de biens et de services nécessitant des ressources énergétiques ou matérielles, tout en recherchant un « mieux », notamment une augmentation de la qualité de vie et du bien-être.

L’Ademe a réalisé un panorama de l’ensemble des notions qui peuvent être rattachées à celle de la sobriété. A différentes échelles (du micro au macro), elles s’articulent autour d’un continuum entre une approche institutionnelle fondée sur l’efficacité et la durabilité de la consommation, et des propositions citoyennes de nouveaux modèles fondés sur la justice environnementale et la transformation profonde des modes de vie.

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Source : Panorama sur la notion de sobriété – définitions, mises en œuvre, enjeux (rapport final) - ADEME

 

« Il faut pousser la sobriété »

Dans son exercice prospectif « Transitions 2050 », l'Ademe constate que les efforts d’efficacité énergétique entraînent dès à présent des effets rebonds qui se caractérisent par le fait que les consommations ne baissent pas systématiquement et que l’impact environnemental n’est que très relatif. C'est le paradoxe de l'efficacité énergétique.

Par exemple, dans le secteur du bâtiment, et notamment dans le domaine de l’isolation, les efforts d’efficacité énergétique sont contrebalancés par l’augmentation du nombre de mètres-carré par personne due notamment aux évolutions démographiques et sociétales avec la multiplication des foyers monoparentaux.

Autre exemple, dans le secteur automobile, l’efficacité des moteurs est contrebalancée par l’augmentation du poids des véhicules et donc la hausse des ressources matières (les véhicules doivent mieux résister aux chocs). Par ailleurs, ces véhicules sont plus efficaces mais le nombre de kilomètres parcourus est en moyenne plus important. L’électrification de l’automobile implique également le besoin d’une plus grande diversité de matières premières. Ce qu'une chargée de prospective de l'Ademe résume par : « Jusqu’ici on a investi beaucoup dans l’efficacité mais on voit bien que l’efficacité ne porte pas ses fruits en termes de réduction d’empreinte carbone. Il faut pousser la sobriété. »

« La sobriété et l’efficacité ce n’est pas la même chose, insiste Anaïs Voy Gilis, associée June Partners, experte sur les questions de réindustrialisation. Dans sobriété il y a l’idée de faire moins, de consommer moins : elle sous-entend une moindre consommation et principalement une baisse des volumes produits. Cela vient bousculer le modèle fondamental de l’industrie qui était d’essayer de massifier la production pour faire baisser les coûts unitaires. »

Point de vue

« La sobriété est une utopie ! Nous la regardons avec le prisme occidental, soit 1/3 de la planète. 2/3 de la planète revendique le droit d’arriver à notre niveau de consommation en utilisant les règles que nous avons utilisées pendant 200 ans et qui nous ont permis d’en être là où on est aujourd’hui. Ils ne veulent pas se voir imposer des règles strictes qui les empêcheraient d’avancer aussi vite que nous. Toutes ces réglementations européennes qui arrivent ont un rôle principal de protéger nos frontières économiques contre les pays émergents qui vont commencer à produire massivement en utilisant nos anciennes technologies. » Un dirigeant industriel

Point de vue

« Le mot "sobriété" était il y a seulement quelques mois uniquement l'apanage de certains analystes (Bihouix, Jancovici, Meilhan...). Il est aujourd’hui repris par les politiques et les médias quasiment comme un nouveau dogme. » Un dirigeant industriel

« La question de la sobriété se pose avant tout sur la demande. Quand je demande un délai de deux semaines à mon fournisseur, est-ce que je ne peux pas attendre trois semaines ? Ce qui permettrait sûrement de créer de la valeur à toutes les étapes par moins de contraintes, de déperdition, de gâchis, de non-conformité, etc. Cela nécessite beaucoup plus de transparence et de partenariat dans l'ensemble de la chaîne. La vraie réserve de sobriété réside dans notre capacité à être plus honnête sur notre demande. »

Chris Davesne, La Mécanique Charentaise