Vers la fin de l'hégémonie de l'Occident (1/3)
La « désoccidentalisation » du monde est en marche, avec l'émergence d'un « Global Sud » qui marque la fin de l'ordre mondial établi par les Occidentaux. Ce phénomène devrait s'accélérer avec un monde de plus en plus fragmenté qui rendra l'environnement économique des entreprises occidentales très mouvant.
15 % seulement des huit milliards de Terriens vivent dans ce qu’on appelle « l’Occident ». D'ici 2050, la proportion descendra à 10 %, selon les dernières estimations de la Division de la Population du Département des Affaires Économiques et Sociales des Nations Unies. À elle seule, la démographie témoigne du fait que « le phénomène de domination occidentale qui a duré 400 ans est une parenthèse qui est en train de se refermer », selon les termes de Maurice Gourdault-Montagne, ancien diplomate français et spécialiste des questions stratégiques et des relations internationales.
L'émergence d'un « Global Sud »
Une tendance de fond relevé par de nombreux spécialistes de la géopolitique : la désoccidentalisation s'accompagne de l’émergence d'un « Global Sud ». La guerre en Ukraine contribue à accélérer brutalement la déconstruction de l'ordre mondial établi par les vainqueurs de 1945. Elle marque la fin de l'illusion de l'ordre libéral international et la désaffection profonde à l'égard des principes qui le fondent. Pour Hicham Elhafdi, spécialiste en géopolitique et en relations internationales, « l’une des conséquences les plus inattendues de la guerre en Ukraine réside dans l’érosion de la prééminence occidentale pour donner le “La” dans la marche des affaires du monde. Le processus enclenché semble irréversible, chaque semaine apportant son lot d’illustrations de cette nouvelle tectonique des plaques géopolitiques. L’Occident est certes uni politiquement, mais il apparaît de plus en plus isolé sur la scène internationale, comme le démontrent les sanctions contre la Russie qu’il est bien le seul à appliquer. Il est fort économiquement, mais les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) viennent de dépasser le G7 en termes de contribution au PIB mondial en parité de pouvoir d’achat, et ce avec des économies plus solides car moins tertiarisées, et un élargissement du club à de nouveaux entrants. » Le sommet de Johannesburg fin août 2023 vient d'acter l'entrée de cinq nouveaux pays : l’Iran, l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis. « Tout l’enjeu pour le monde non occidental est d’inventer son modèle, au moment où le monde occidental tentera probablement de réinventer les modes de domination pour faire perdurer le sien », estime Hicham Elhafdi.
Un environnement de plus en plus incertain pour les entreprises occidentales
Déjà ressenti sur le continent africain où Russes et Chinois prennent des positions remarquées, cette perte d'influence de l'Occident qui devrait se généraliser à d’autres partie du monde se traduirait pour les entreprises par un environnement de plus en plus incertain. Selon Michel Duclos, ancien ambassadeur français, cette incertitude serait liée à un monde fragmenté où pourraient coexister plusieurs réalités :
- la présence de multiples Internet, reflétant l'émergence de systèmes parallèles plutôt que l'Internet global actuel qui connecte les réseaux informatiques du monde entier ;
- des chaînes d'approvisionnement de plus en plus influencées par des considérations géopolitiques plutôt qu'économiques ;
- un environnement commercial incertain et arbitraire pour les entreprises occidentales, en raison de la montée des régimes autoritaires à travers le monde ;
- une compétition féroce entre l'Amérique et l'Europe. Ainsi, les entreprises devront faire face à des défis plus difficiles dans ce contexte en évolution.
Certaines sociétés occidentales pourraient se voir contraintes de quitter des pays, par exemple, sous forme d'expropriation d'actifs, comme ce fut le cas de deux négociants de céréales. La Russie leur a signifié que les terminaux portuaires d’exportation de grains devaient dorénavant être opérés par des intérêts russes. Elle leur a imposé de vendre certains actifs à des opérateurs russes à un prix qui ne devait pas dépasser un certain montant. « Une multinationale peut s’en remettre, remarque un trader spécialisé dans le blé et les matières premières agricoles, mais s’il s’agit d’une entreprise de plus petite taille, cela peut réellement mettre en péril tout sa stabilité financière. »
Face à ces risques, des groupes américains relocalisent leurs activités dans des pays amis. Apple s’est ainsi lancé dans une course contre la montre pour transférer une partie de sa production de la Chine vers l’Inde et le Vietnam. L’Inde devrait récupérer 45 à 50 % de la production des iPhone d’ici à 2027, à égalité avec la Chine, où 80 à 85 % d’entre eux ont été fabriqués en 2022.
Les entreprises ne sont pas les seules à subir ces expulsions, les ONG se trouvent également en première ligne. Présentes partout dans le monde, elles sont de plus en plus remises en question. Elles se voient reprocher leur ingérence excessive et l’insuffisance de leur action, la mauvaise utilisation des fonds qui leur sont alloués, ainsi que leur incapacité à pleinement comprendre les pays dans lesquels elles interviennent.