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Quand la non-assurabilité des risques impacte l’activité économique

Alors que les risques systémiques - menaces climatiques grandissantes et cybermenace -prennent de l'ampleur, le modèle traditionnel de l'actuariat se trouve confronté à une remise en question profonde. Les assureurs esquissent un passage du calcul du "risque" à l’identification de la "menace", où l'incertitude devient la norme. Cette transition vers un nouvel univers entraîne des répercussions dans le monde des affaires, avec des activités stoppées par la non-assurance et un désengagement des assureurs face aux risques climatiques.

Menaces Systémiques : Climat et Cyber, les principaux risques à surmonter de la prochaine décennie

La menace climatique et la cybermenace émergent comme les risques majeurs pour les prochaines années, notamment par leur aspect systémique. En effet, les assurances classent désormais le changement climatique parmi les trois risques les plus importants. Le future of risks 2023 World Economic Forum met en garde contre l'échec d'atténuation et d'adaptation aux changements climatiques, les événements naturels extrêmes, la perte de biodiversité et l'effondrement des écosystèmes en tant que plus grandes menaces pesant sur l'humanité pour la prochaine décennie. Cette préoccupation est renforcée par les professionnels français de l'assurance qui placent également le risque cyber en tête des menaces pour les entreprises, suivi de près par le dérèglement climatique. Dans un monde caractérisé par la volatilité, l'incertitude, la complexité et l'ambiguïté, les assurances font face à des limites dans leur capacité à quantifier les impacts des risques systémiques liés au réchauffement climatique, aux cyberattaques et aux tensions géopolitiques.

Parallèle avec ce qu’exprimait Henry de Castrie (PDG d’AXA) en 2015 sur la non-assurabilité des risques climatiques, Mario Greco, PDG de Zurich Insurance, soulignait fin décembre 2022 que le risque cyber pourrait devenir prochainement non assurable du fait de son caractère systémique et du coût des dommages pouvant s’avérer très élevés.

Un passage du calcul du « risque » à la simple identification de la « menace » ?

« Une des hypothèses de base de l’actuariat, c’est l’indépendance des risques. Donc penser l’intrication des risques, cela existe, maiscela sort du cadre actuel » expliquait un actuaire dans la dernière étude prospective Sinon Virgule 2023[1]

Le modèle traditionnel de l’assurance et de l’actuariat, qui repose sur l'indépendance des risques et l'évaluation statistique, se révèle inadapté face à une incertitude grandissante liée à la systémie des risques. Les aléas se transforment en menaces difficiles à évaluer et à mesurer. L'actuariat doit ainsi évoluer vers une pensée systémique pour appréhender cette incertitude globale, un défi auquel il n'est pas encore pleinement préparé. Les assureurs doivent réexaminer leur approche pour mieux gérer les menaces émergentes.

« En réalité, la nouvelle ère de l’Anthropocène semble marquer un nouveau régime pour les risques qui se fondent peu à peu dans une forme d’incertitude globale. Ainsi, nous ne sommes plus en présence de ce que le sociologue David Le Breton appelle une « incertitude quantifiée » (...) avec des statistiques mettant en évidence ses probabilités d’occurrence (mais plutôt) dans une absence radicale de connaissance à son propos »

Désengagement des assureurs et activités stoppées

Ces nouveaux défis ont déjà des conséquences concrètes dans le monde des affaires. Un exemple marquant est celui de 3M, qui a pris la décision de retirer toutes les substances PFAS de ses produits notamment sous la pression de son assureur et de ses financiers. Cette mesure démontre l'influence grandissante des assureurs dans les choix stratégiques des entreprises. Les activités sont ainsi impactées par la non-assurance, poussant les acteurs économiques à repenser leurs pratiques pour répondre aux nouvelles exigences en matière de risques.

Par ailleurs, face aux risques climatiques croissants, certaines compagnies d'assurances ont décidé de se désengager de la couverture de certains périls jugés trop élevés. En Floride et en Californie, des territoires régulièrement touchés par les aléas climatiques, des assureurs ne proposent plus de couverture contre les inondations et les feux de forêt. L'Australie connaît également des difficultés avec l'élévation du niveau de la mer, qui rend le risque de submersion non assurable pour les biens immobiliers résidentiels. En Italie et en Hongrie, les risques sismiques font également partie des enjeux non assurables. Dans un monde où la prospective climatique indique clairement une augmentation de l’occurrence et de l’intensité des aléas climatiques, le nombre d’exemples similaires pourrait se multiplier dans les prochaines années un peu partout à travers le globe.

Outre les coûts d’assurance qui pourraient s’envoler dans les années à venir, ce désengagement des assureurs soulève la question de l'avenir de la couverture des risques majeurs et incite les entreprises à envisager de nouvelles stratégies de gestion des risques.

Quelle gestion des risques dans un monde sans assurance ?

Après les risques pandémiques, les risques climatiques et les risques cyber, quels risques ne pourraient plus être assurables dans les prochaines années ? Quels seront les risques de demain ? A quoi pourrait ressembler un monde sans assurances ?... Imaginer un monde ainsi soulève des interrogations sur la gestion des risques pour les entreprises.

Dans le contexte actuel de complexité et d'incertitude, la gestion des risques prend une importance cruciale. Pour faire face aux défis changeants de notre monde en constante évolution, il est impératif d'adopter une approche proactive. Cela signifie non seulement surveiller en permanence l'environnement, mais aussi anticiper les futurs possibles à l'aide de la prospective. En interrogeant constamment les scénarios potentiels, on peut mieux se préparer à gérer les risques. Outre l'évitement et/ou le transfert du risque, qui pourrait devenir de plus en plus couteux, voire impossible, la combinaison d'une acceptation éclairée des risques inévitables, d'une atténuation active des risques évitables et de la capacité à faire preuve de résilience face aux risques imprévus est essentielle. La prospective devient ainsi un outil indispensable pour prendre des décisions éclairées et élaborer des stratégies adaptatives. 

[1] https://www.caissedesdepots.fr/sites/default/files/2023-03/Livre%20blanc%20_%20Peut-on%20assurer%20un%20monde%20qui%20s%27effondre%20_r%C3%A9duit.pdf

Point de vue

 

 

« Dans un monde sans assurance, les entreprises devront se créer des « trésors de guerre » au détriment du reste de leur activité et la consommation freinerait. Cela provoquerait un ralentissement de l'économie. »

 

« L'assurance grand public vient de Bismarck. On a vécu longtemps sans. Aujourd'hui, on ne peut plus s'en passer. Surtout, on trouve tout et n'importe quoi. Il est illusoire de prétendre tout assurer dans un monde où l'incertitude grandit et prétendre que tout sera assurable. »

Gilles WackenheimEdixia 

 

« Un monde sans assureur permet de remettre de l’égalité dans la relation client/fournisseur. On s’assure pour ne pas avoir à partager les risques, pour ne pas assumer la part de risque que l’autre prend pour soi. Le commerce a existé avant l’assurance. Si l’assurance doit disparaître, alors il s’agira juste de se mettre d’accord sur le partage de la gestion des risques.’ »

David Raoul, Sanaco/Ynoptia 

« Il va falloir apprendre à vivre avec davantage de risques et cela conduira peut-être à réduire des pans d'activité. De toute façon l'évolution du climat va nous pousser à en abandonner, pour nous recentrer sur l'indispensable et le « climatologiquement » propre. Soit on cessera notre activité, soit on prendra le risque de travailler sans assurance. »

Xavier GaudefroySynoxis

« Ce qui me frappe depuis le covid, c'est la soudaineté et l'amplitude des événements qui nous tombent dessus et que l'on ne trouve dans aucun crash test. Il va falloir changer de paradigme et nous préparer, par exemple à un monde sans assurance. C'est un changement majeur. »

Nadège Anselme, Mecam 44