La décarbonation comme source de financement
Le secteur financier opère un changement notable dans sa façon d'aborder le financement des entreprises, en mettant l'accent sur les stratégies de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) et la décarbonation. De nouvelles approches émergent pour favoriser une transition vers une économie bas carbone. Parmi ces approches, l'insetting, qui consiste à compenser l'empreinte carbone au sein même de la chaîne de valeur de l'entreprise, gagne en popularité. Egalement, un nouvel indicateur, le « dividende climat », émerge pour évaluer la contribution positive des entreprises à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour la valorisation des investissements dans la décarbonation.
Des accès au financement facilités par la transition
Les banques scrutent de plus en plus les stratégies RSE des entreprises dans leur manière d'aborder les financements. En effet, tout en continuant à bien financer les projets de décarbonation, il est possible d'observer une véritable tendance des banques à mieux suivre et accompagner les entreprises dans leurs transitions écologiques et énergétiques. A contrario, elles semblent prendre quelques distances avec certaines activités, à l’instar des projets liés aux secteurs de l’oil & gas et de la chimie.
« Il existe une réelle prise de conscience des industriels sur la décarbonation de l’outil de production, constate un dirigeant industriel. D’abord parce qu’on est financé pour le faire, ensuite parce qu’on trouve aujourd’hui des solutions de décarbonation ou d’autonomie énergétique avec des retours sur investissements assez rapides. » Un de ses confrères ajoute : « Si un dirigeant n’arrive pas se faire financer un projet, c’est qu’il ne met pas les bonnes valeurs en avant ».
« Insetting » : intégrer le crédit carbone dans sa propre chaine de valeur
L'effervescence entourant le marché mondial du carbone, évalué en milliards de dollars, semble s'estomper progressivement à mesure que les révélations et les enquêtes, notamment sur le projet Kariba, minent la crédibilité de l'instrument de prédilection utilisé par le monde des affaires pour atténuer les émissions de carbone. Les compensations carbones, qui promettent aux entreprises et aux individus la possibilité de contrebalancer leur empreinte carbone en finançant des initiatives visant à prévenir les émissions de gaz à effet de serre ou à éliminer le dioxyde de carbone de l'atmosphère, sont plus que jamais remises en question. Dans un rapport récemment publié, le cabinet de conseil Carbon Direct a mis en lumière une forte diminution de la demande de compensations carbone dans divers secteurs.
Au-delà du manque d’impact crédible, la compensation carbone est également perçue aujourd’hui comme une sorte « d’écoblanchiment », de « finance greenwashée ». Ces préoccupations ont ainsi incité plusieurs grandes entreprises, dont Shell, Nestlé, EasyJet et Fortescue Metals Group, à abandonner leurs engagements en matière de compensation carbone et de neutralité carbone qui reposaient en grande partie sur ces mécanismes.
"Nous nous éloignons des investissements dans les compensations carbones afin d'investir dans des programmes et pratiques qui aident à réduire les émissions de gaz à effets de serre dans notre propre chaîne d'approvisionnement et dans nos activités" déclarait récemment un porte-parole du groupe Nestlé à l’AFP.
Ainsi, les industriels commencent à utiliser l’insetting, qui vise à compenser son empreinte carbone dans sa propre chaîne de valeur, à l’inverse de l’approche classique (offsetting) dont la compensation s’effectue hors de la sphère d’influence de l’entreprise.
« Pour les entreprises suivant une stratégie net zéro, l'achat de crédits carbone sera nécessaire, ce qui peut être avantageux pour elles si ces crédits carbones financent leurs chaines de valeur. En effet, le crédit carbone peut être lié à leur activité et leur chaîne de valeur. Leur financement profitera par exemple à décarboner leurs sous-traitants ou fournisseurs, dans le but de décarbonner son propre scope 3. L'approche locale est également intéressante, car elle permet de mettre en valeur la chaîne de valeur de l'entreprise. » explique Grégoire Guirauden, co-fondateur de Riverse, la première plateforme qui mesure, vérifie et monétise le carbone pour les projets d’économie circulaire en Europe.
L’insetting permet ainsi de réduire significativement l’empreinte carbone au cœur du processus de création de valeur. Ce qui favorise la transformation des modèles économiques et la performance des filières et des procédés de fabrication. « Le Crédit carbone volontaire est un levier pour atteindre une stratégie bas carbone et pour financer la transition, l’innovation, et basculer vers un modèle d’économie circulaire », insiste le fondateur de Riverse.
Autre conséquence : l’objectif est de permettre aux solutions green tech et à l’économie circulaire de bénéficier du financement du crédit carbone. En plus de revendre ses crédits carbones, un industriel qui développe un projet bas carbone pourra bénéficier d’un financement pour certaines activités telles que le développement de nouveaux matériaux, la mise en place d’un centre de recyclage ou de reconditionnement ou encore la captation et le stockage de CO2.
« Dividende climat » : un nouvel indicateur pour valoriser les investissements sur la décarbonation
L'initiative du « dividende climat » constitue une approche novatrice visant à évaluer la contribution positive des entreprises à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Contrairement à une focalisation traditionnelle sur l'empreinte carbone négative des entreprises, cet indicateur extrafinancier met en lumière les émissions évitées ou séquestrées grâce à leurs activités. Par exemple, une entreprise qui propose des pompes à chaleur en remplacement des cuves à fuel contribue activement à l'objectif de neutralité carbone. De même, celles qui favorisent le recyclage et la réutilisation de matériaux participent à la réduction des émissions en évitant la production de matières premières vierges.
Le concept des « dividendes climat » permet à ces entreprises de mesurer leur impact positif et de récompenser leurs actionnaires en fonction des émissions de CO2 équivalent évitées ou retirées de l'atmosphère. Il s'agit donc d'une démarche doublement bénéfique, favorisant à la fois la transition vers une économie à faible émission de carbone et la valorisation des investissements.
Du point de vue des investisseurs, les dividendes climat offrent une méthode standardisée et comparable pour évaluer la contribution d'un portefeuille à la neutralité carbone globale. De plus, ils peuvent renforcer la valeur financière d'une action en reflétant non seulement sa performance économique, mais aussi son impact positif sur le climat. Le "dividende climat" a vocation à devenir dans les années qui viennent un standard international, au même titre que le crédit carbone.