Vers un nouveau récit industriel
La crise identitaire de l'industrie se révèle à travers un changement radical de perspectives et de valeurs. Alors que la croissance économique est perçue comme une menace et que le règne de la technologie évince l'humain, une question se pose : quel récit peut-on offrir pour rendre l'industrie attractive et humaine dans un monde en pleine mutation ?
« Les exercices de prospective se multiplient dans tous les secteurs pour essayer d’inventer des futurs possibles, puisque plus personne ne voit ce qu’il va se passer », explique Claudine Bras, responsable Prospective, Solutions & Co. Mais les prospectivistes deviennent de plus en plus pessimistes, comme en témoigne le dernier forum de Futurs Futuribles de février 2023. « D’habitude les prospectivistes sont des gens qui ont une tendance à être optimiste, indique Claudine Bras. Là c’est tout le contraire, les conclusions était assez pessimistes sur le futur. Au-delà de la problématique des ressources dont l’eau, la polarisation de la société et les conflits géopolitiques sont les deux principales préoccupations qui sont ressorties des conclusions du Forum. »
La croissance économique est davantage considérée comme une menace que comme un progrès
La période actuelle montre un changement de paradigme sur les idées structurantes de la modernité. La notion de progrès est remise en cause, selon Mickael Dandrieux, docteur en sociologie spécialisé dans les mutations sociales. L’idée qui pendant longtemps a façonné le monde occidental, selon laquelle demain serait mieux qu’aujourd’hui, grâce au progrès et à la technologie, n’est plus dominante, notamment chez les jeunes. Du fait de son impact sur la planète, la croissance économique est davantage considérée comme une menace que comme un progrès. Pour Mickael Dandrieu, « si vous avez une société, dans laquelle les sources d’espoir (auparavant le progrès) sont insuffisantes, vous construisez des gens qui n’ont pas envie de se projeter dans l’après. »
Quelle place est laissée à l’humain dans un univers tout technologique ?
Au-delà de la remise en cause de la croissance économique comme vecteur de progrès, c’est aussi le tout technologique qui est pointé du doigt. L’offre technologique est justement l’un des cinq piliers de l’Industrie du Futur et sert de récit à l’industrie. Comment faire rêver des jeunes avec le tout digital, l’automatisation, la robotisation à l’heure où ces technologies du futur deviennent la normale pour eux qui ont toujours vécu avec un smartphone, une tablette et qui naviguent dans le virtuel avec aisance. Quelle place est laissée à l’humain dans cet univers tout technologique ? Dans ce contexte, il est moins surprenant de voir les jeunes générations peiner à se projeter sur des métiers de l’industrie. Et l’on en vient à se poser cette question : Et si finalement « l’industrie du futur était une cause de la non-attractivité des métiers de l’industrie ?
Une remise en cause qui oblige à réinventer les relations humaines au travail
À cela s’ajoute le fait que l’industrie reste victime de nombreux préjugés comme en témoigne ce dirigeant : « Après le bac, le mot industrie est un gros mot. Les jeunes raisonnent avec leur parents, leur entourage, des gens qui ont 30 ans une vision du travail et de l’industrie qui remonte aux années 80. Cela fait peur aux jeunes parce que cela ne correspond pas à leur idéal. Nous aurons de plus en plus de mal à embaucher des ouvriers. Or, la réindustrialisation c’est avant tout une question humaine ».
Cette remise en cause générale du système oblige à réinventer les relations humaines au travail, les ressources humaines, le modèle de l’entreprise et sa gouvernance. « On est en plein dedans, estime un industriel. Mais on s’aperçoit que certaines méthodes nées pendant le confinement perdurent. Tout le monde voulait revenir au présentiel mais on se rend compte qu’on annule de nombreux événements car les gens se déplacent moins. En revanche les webinaires font le plein. » L’industrie doit s’inventer un nouveau récit.