L'émergence de nouveaux espaces numériques s'accélère. De plus en plus le régalien cède la place au commercial, sans que, pour l’instant des systèmes de régulation ne viennent prévenir certaines dérives. Se pose la question de la régulation de ces nouveaux espaces.
Deux caractéristiques autour de l’émergence d’environnements numériques
La guerre russo-ukrainienne accélère l’émergence d’environnements numériques présentant deux caractéristiques majeures : d'une part, ils constituent des systèmes inédits de relations entre acteurs, potentiellement sources de coopérations comme de conflits ; d'autre part, ils échappent à toute régulation.
Par exemple, la Russie profite des circuits de commerce libellés en cryptomonnaies pour contourner les sanctions économiques. Grâce à cela, « il serait possible de s'isoler complètement des règles internationales classiques pour s'en remettre à un marché noir international. Les cryptomonnaies remettraient ainsi complètement en cause la relation de l'État à la société », explique pour le podcast SismiqueGaël Giraud, économiste. Autre exemple avec des nouveaux collectifs de hackers qui oscillent entre cybercriminalité et cyber résistance.Dans le contexte de guerre russo-ukrainienne s’est développé des réseaux de cyber resistance pour aider l’Ukraine à faire face aux cyberattaques.
« La guerre cognitive »
Quant à l'information, médias et réseaux sociaux pourraient devenir vecteur de « soft war ». On le voit avec le risque pour la réputation des entreprises qui continuent de travailler avec la Russie. Ce que François de Cluzel, responsable de NATO Act Innovation Hub, Université́ de Laval au Québec appelle la « guerre cognitive » : « La guerre cognitive est une menace émergente de la guerre moderne. Elle cherche à modifier ce que les gens pensent et leur façon d’agir, notamment en polarisant l’opinion et en radicalisant les groupes. Elle positionne l’esprit comme un espace de combat. Elle peut inciter les gens à agir d’une manière qui peut perturber ou fragmenter une société ».
Un autre espace pourrait bien bouleverser les écosystèmes numériques. Le métaverse propose des espaces virtuels immersifs dans lesquels il serait possible de travailler, jouer, socialiser, assister à des événements, etc. Des réseaux pourraient se constituer, comme dans le monde réel, proposant de nouvelles relations commerciales, de nouvelles communautés, des groupes politiques, etc. « Pourquoi pas, avec le métaverse, avoir une seconde vie, une seconde activité professionnelle, communiquer, gagner de l'argent ? », s'interroge sur France Info Julien Pillot, économiste et enseignant-chercheur à l’Inseec (Institut des hautes études économiques et commerciales).
De nouvelles réglementations en lien avec lemétaverse
D’ores et déjà, se pose la question de la régulation de ces futures relations socio-économiques virtuelles. Et si, demain, les avatars étaient dotés de droits et de devoirs, acceptés, par exemple, dans les conditions générales d’utilisation de la plateforme qui édite l’espace virtuel, ainsi que de leur propre régime de responsabilité ?
Cité dans InCyber, Pascal Coillet-Matillon, doctorant en droit à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, estime que « si l’investissement dans le métaverse devient important à l’avenir, il sera nécessaire que chacun des États veille à ce que ce qu’il interdit dans la vie réelle ne soit pas permis dans le métaverse, pour que la cohésion sociale dont il est le garant ne soit pas fragmentée à cause d’une sorte de schizophrénie juridique ».
De nombreux pays réfléchissent à de nouvelles réglementations en lien avec le métaverse. La Chine travaille sur son propre monde virtuel qui combinerait réseaux sociaux, services de streaming et plateformes de jeu vidéo.
Les géants du net à la conquête des câbles sous-marins et des satellites
Au-delà du métaverse, l’Europe cherche à réguler l’ensemble des acteurs du numérique. Le Digital Services Act, qui entre en vigueur en 2023, définit des règles de responsabilité des fournisseurs de services et leurs obligations de transparence, ainsi que les pratiques illicites et les sanctions encourues en cas de contournement.
Cette régulation est d'autant plus importante au moment où les géants du net tendent à devenir propriétaires des réseaux de câbles sous-marins et des satellites, auparavant propriété des États. Ces moyens de télécommunication, qui relèvent de la dimension régalienne, notamment pour des raisons de sécurité́ nationale, basculent dans le domaine commercial.
Les GAMAM disposent des moyens de financer leurs propres câbles, à l’image du câble Dunant, propriété de Google, qui relie la France aux États-Unis, ou du câble Peacere, appartenant à la société́ Hengtong, qui relie la Chine à Marseille. Cité dans Usbek&Rica, Jean-Luc Vuillemin, directeur des réseaux internationaux d’Orange 4 estimait en 2020 que « il y a 10 ans, 5 % des câbles étaient contrôlés par les GAMAM. Aujourd’hui, c’est 50 % et ce sera 95 % d’ici à 3 ans »
Les géants du net partent à la conquête de l’espace à l'image d'Elon Musk et sa constellation Starlink, pour assurer en Ukraine le pilotage des réseaux de drones et une couverture réseau minimum dans les zones coupées du réseau terrestre. « Elon Musk avec Space X est un nouvel acteur des relations internationales au même titre que les États. Pour le gouvernement américain, par le biais des acteurs privés, il s’agit d’une manière d’intervenir sans mobiliser directement l’État », indique Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, sur France Culture.
Autre exemple, le partenariat entre Amazon et Airbus mettra en orbite une partie des 3 236 satellites (future constellation Kuiper) du géant du net, destinés à diffuser l’Internet à haut débit sur toute la planète d’ici à 2030.
Maxime Puteaux, conseiller industrie au sein du cabinet Euroconsul, développait sur France Culture pour La méthode scientifique , « les nouveaux acteurs privés du spatial poussent les États à acheter, non plus des équipements, mais des services, la location d’une antenne par exemple. L’espace s’est au final rapproché du monde de l’information et, ce faisant, il a perdu sa dimension régalienne (programme propriétaire des États) (...) Les intérêts spatiaux sont devenus de plus en plus économiques ».