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Podcast: Environnement macroéconomique partie 1 - Nouvelles alliances

Découvrez dans ce podcast de nouvelles alliances dans la géopolitique mondiale ainsi que le lien Europe industrielle / Chine et les répercussions que cela pourrait avoir pour l'industrie européenne.

{https://soundcloud.com/prospective-industries/podcast-1-environnement-macroeconomique-partie-1-nouvelles-alliances/s-SSryVy8KiZL}

Podcast: Environnement macroéconomique partie 2 - Approvisionnement

Quelles nouvelles gestions des stocks,nouvelles localisations face aux enjeux liés aux approvisionnements en matières premières ? Cette question des approvisionnements est critique dans les entreprises, tous secteurs de production confondus. Prospective Industries s’est demandé quels sont mécanismes et qu’est ce qui va se passer à moyen long terme aux niveaux macroéconomique, sectoriel et de l’entreprise ?

{https://soundcloud.com/prospective-industries/podcast-environnement-macroeconomique-partie-2-approvisionnement/s-y1d12JqZDmF}

Quand la non-assurabilité des risques impacte l’activité économique

Alors que les risques systémiques- menaces climatiques grandissantes et cybermenace -prennent de l'ampleur,le modèle traditionnel de l'actuariat se trouve confronté à une remise en question profonde. Les assureurs esquissent un passage du calcul du "risque" à l’identification de la "menace",où l'incertitude devient la norme. Cette transition vers un nouvel univers entraîne des répercussions dans le monde des affaires, avec des activités stoppées par la non-assurance et un désengagement des assureurs face aux risques climatiques.

Menaces Systémiques : Climat et Cyber, les principaux risques à surmonter de la prochaine décennie

La menace climatique et la cybermenace émergent comme les risques majeurs pour les prochaines années, notamment par leur aspect systémique. En effet, les assurances classent désormais le changement climatique parmi les trois risques les plus importants. Le future of risks 2023 World Economic Forum met en garde contre l'échec d'atténuation et d'adaptation aux changements climatiques, les événements naturels extrêmes, la perte de biodiversité et l'effondrement des écosystèmes en tant que plus grandes menaces pesant sur l'humanité pour la prochaine décennie. Cette préoccupation est renforcée par les professionnels français de l'assurance qui placent également le risque cyber en tête des menaces pour les entreprises, suivi de près par le dérèglement climatique. Dans un monde caractérisé par la volatilité, l'incertitude, la complexité et l'ambiguïté, les assurances font face à des limites dans leur capacité à quantifier les impacts des risques systémiques liés au réchauffement climatique, aux cyberattaques et aux tensions géopolitiques.

Parallèle avec ce qu’exprimait Henry de Castrie (PDG d’AXA) en 2015 sur la non-assurabilité des risques climatiques, Mario Greco, PDG de Zurich Insurance, soulignait fin décembre 2022 que le risque cyber pourrait devenir prochainement non assurable du fait de son caractère systémique et du coût des dommages pouvant s’avérer très élevés.

Un passage du calcul du « risque » à la simple identification dela« menace » ?

« Une des hypothèses de base de l’actuariat, c’est l’indépendance des risques. Donc penser l’intrication des risques, cela existe, maiscela sort du cadre actuel » expliquait un actuaire dans la dernière étude prospective Sinon Virgule 2023[1]

Le modèle traditionnel de l’assurance et de l’actuariat, qui repose sur l'indépendance des risques et l'évaluation statistique, se révèle inadapté face à une incertitude grandissante liée à la systémie des risques. Les aléas se transforment en menaces difficiles à évaluer et à mesurer. L'actuariat doit ainsi évoluer vers une pensée systémique pour appréhender cette incertitude globale, un défi auquel il n'est pas encore pleinement préparé. Les assureurs doivent réexaminer leur approche pour mieux gérer les menaces émergentes.

« En réalité, la nouvelle ère de l’Anthropocène semble marquer un nouveau régime pour les risques qui se fondent peuà peu dans une forme d’incertitude globale. Ainsi, nous ne sommes plus en présence de ce que le sociologue David Le Breton appelle une « incertitude quantifiée » (...) avec des statistiques mettant en évidence ses probabilités d’occurrence (mais plutôt) dans une absence radicale de connaissance à sonpropos »

Désengagement des assureurs et activités stoppées

Ces nouveaux défis ont déjà des conséquences concrètes dans le monde des affaires. Un exemple marquant est celui de 3M, qui a pris la décision de retirer toutes les substances PFAS de ses produits notamment sous la pression de son assureur et de ses financiers. Cette mesure démontre l'influence grandissante des assureurs dans les choix stratégiques des entreprises. Les activités sont ainsi impactées par la non-assurance, poussant les acteurs économiques à repenser leurs pratiques pour répondre aux nouvelles exigences en matière de risques.

Par ailleurs, face aux risques climatiques croissants, certaines compagnies d'assurances ont décidé de se désengager de la couverture de certains périls jugés trop élevés. En Floride et en Californie, des territoires régulièrement touchés par les aléas climatiques, des assureurs ne proposent plus de couverture contre les inondations et les feux de forêt. L'Australie connaît également des difficultés avec l'élévation du niveau de la mer, qui rend le risque de submersion non assurable pour les biens immobiliers résidentiels. En Italie et en Hongrie, les risques sismiques font également partie des enjeux non assurables. Dans un monde où la prospective climatique indique clairement une augmentation de l’occurrence et de l’intensité des aléas climatiques, le nombre d’exemples similaires pourrait se multiplier dans les prochaines années un peu partout à travers le globe.

Outre les coûts d’assurance qui pourraient s’envoler dans les années à venir, ce désengagement des assureurs soulève la question de l'avenir de la couverture des risques majeurs et incite les entreprises à envisager de nouvelles stratégies de gestion des risques.

Quelle gestion des risques dans un monde sans assurance ?

Après les risques pandémiques, les risques climatiques et les risques cyber, quels risques ne pourraient plus être assurables dans les prochaines années ? Quels seront les risques de demain ? A quoi pourrait ressembler un monde sans assurances ?... Imaginer un monde ainsi soulève des interrogations sur la gestion des risques pour les entreprises.

Dans le contexte actuel de complexité et d'incertitude, la gestion des risques prend une importance cruciale. Pour faire face aux défis changeants de notre monde en constante évolution, il est impératif d'adopter une approche proactive. Cela signifie non seulement surveiller en permanence l'environnement, mais aussi anticiper les futurs possibles à l'aide de la prospective. En interrogeant constamment les scénarios potentiels, on peut mieux se préparer à gérer les risques. Outre l'évitement et/ou le transfert du risque, qui pourrait devenir de plus en plus couteux, voire impossible, la combinaison d'une acceptation éclairée des risques inévitables, d'une atténuation active des risques évitables et de la capacité à faire preuve de résilience face aux risques imprévus est essentielle. La prospective devient ainsi un outil indispensable pour prendre des décisions éclairées et élaborer des stratégies adaptatives. 

[1] https://www.caissedesdepots.fr/sites/default/files/2023-03/Livre%20blanc%20_%20Peut-on%20assurer%20un%20monde%20qui%20s%27effondre%20_r%C3%A9duit.pdf

Point de vue

 

 

« Dans un monde sans assurance, les entreprises devront se créer des « trésors de guerre » au détriment du reste de leur activité et la consommation freinerait. Cela provoquerait un ralentissement de l'économie. »

 

« L'assurance grand public vient de Bismarck. On a vécu longtemps sans. Aujourd'hui, on ne peut plus s'en passer. Surtout, on trouve tout et n'importe quoi. Il est illusoire de prétendre tout assurer dans un monde où l'incertitude grandit et prétendre que tout sera assurable. »

Gilles WackenheimEdixia 

 

« Un monde sans assureur permet de remettre de l’égalité dans la relation client/fournisseur. On s’assure pour ne pas avoir à partager les risques, pour ne pas assumer la part de risque que l’autre prend pour soi. Le commerce a existé avant l’assurance. Si l’assurance doit disparaître, alors il s’agira juste de se mettre d’accord sur le partage de la gestion des risques.’ »

David Raoul, Sanaco/Ynoptia 

« Il va falloir apprendre à vivre avec davantage de risques et cela conduira peut-être à réduire des pans d'activité. De toute façon l'évolution du climat va nous pousser à en abandonner, pour nous recentrer sur l'indispensable et le « climatologiquement » propre. Soit on cessera notre activité, soit on prendra le risque de travailler sans assurance. »

Xavier GaudefroySynoxis

« Ce qui me frappe depuis le covid, c'est la soudaineté et l'amplitude des événements qui nous tombent dessus et que l'on ne trouve dans aucun crash test. Il va falloir changer de paradigme et nous préparer, par exemple à un monde sans assurance. C'est un changement majeur. »

Nadège Anselme, Mecam 44

Quand le conjoncturel et le structurel fusionnent

Avec les crises, les tendances de fond, tels que l'épuisement des ressources naturelles ou le réchauffement climatique, remontent à la surface. Avec à la clé : une accélération des transitions.

La succession des crises internationales (Covid, guerre en Ukraine), qui relèvent du conjoncturel, font émerger des tendances de fond, dont la dimension est structurelle, au point que les deux dimensions (conjoncturelle et structurelle) tendent à se confondre.

En effet, ces crises ont un impact sur de multiples aspects : les relations internationales, l’énergie, les matières premières, la sécurité́ alimentaire, les flux logistiques, les prix, etc. Avec des incidences à tous les niveaux : à l’échelle mondiale comme pour les pays, les entreprises et les particuliers.

 

Image1

Source: Prospective Industries 

Ainsi, la crise russo-ukrainienne (conjoncturel) met en évidence la dépendance européenne aux gaz et hydrocarbures russes (structurel) et oblige les États à chercher à court terme des circuits d’approvisionnement alternatifs (conjoncturel). Elle a contribué à accélérer la transition énergétique de l’Europe vers les énergies renouvelables, engagée sur le long terme (structurel). De son côté la crise sanitaire replace la relocalisation et les circuits courts au cœur des politiques industrielles

Les phénomènes conjoncturels tels que la hausse des prix et des délais d'approvisionnement, la relocalisation ou les sanctions économiques se trouvent intimement liés à des lames de fond qui, elles, sont structurelles comme la dépendance aux énergies fossiles, la pollution, l’épuisement des ressources, les limites de la mondialisation, la fragilité des démocraties et la montée des populismes, etc.

Les crises rendent plus aiguës des tendances de fond qui remontent brutalement à la surface : le temps long qui les caractérise normalement coïncide davantage avec le court terme de l’action. Cela raccourcit les délais nécessaires aux transformations et accélère les transitions environnementales, économiques ou politiques, avec, pourquoi pas, une nouvelle organisation du monde en toile de fond.

 

Photo vague: Copyright Benoist CLOUET 

Point de vue

« Il faut casser les fondamentaux, les certitudes pour repenser le service et l'ADN de ce que l'on vend au client. Si on ne le fait pas d'autres vont apparaître sur le marché et nous éliminer. »

Hervé Tilloy, 3-6-9 Mois

 

« Quelle sera la prochaine crise ? Le monde est anxiogène et beaucoup cherchent des zones de confiance pour restaurer un lieu de vie serein. L'entreprise peut jouer ce rôle et redonner du sens. » 

Franck Lamiré, Orhand

Thierry Troesch, président de la CCI des Côtes-d'Armor - Agence API« Les crises deviennent une sorte de normalité et font partie de notre quotidien. Il faut l’accepter … ou bien changer de métier ! Plus que jamais, nous devons continuer à être innovants, agiles, proches de nos clients et de nos fournisseurs. »

Thierry Troesch, ST Industries

Cyrille Guilloux« Beaucoup de choses nous interrogent, notamment sur le sens de l'entreprise. Faut-il continuer la course à nos 10 % de hausse annuelle du chiffre d'affaires et à la surconsommation ? »

Cyrille Guilloux, Atouts Plastiques

 

Quelles monnaies internationales pour demain ? (3/3)

La « désoccidentalisation » du monde se traduit concrètement dans le domaine de la monnaie. Des signaux ressurgissent montrant la volonté de nombreux pays non occidentaux de s’affranchir du dollar américain. Si elle n’est pas nouvelle, cette tendance à la « dédollarisation » a pris de l’ampleur avec les sanctions financières et commerciales infligées par l’Occident à la Russie, suite à l'invasion de l'Ukraine.

Russie, Chine, Brésil : vers une monnaie commune

Le projet de création d'une monnaie commune entre la Russie, le Brésil et la Chine vise à renforcer la coopération économique et à réduire la dépendance vis-à-vis du dollar. C'est l'un des chevaux de bataille du président brésilien Lula depuis son élection en 2023. Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ne cachent plus leur volonté de créer un instrument de paiement alternatif au dollar, notamment, en raison des sanctions contre la Russie. « La Chine et l'Arabie Saoudite ont été choquées par les actions menées par les Américains et les Européens contre les Russes en termes de gel des avoirs de la banque centrale. » explique Gal Luft, directeur de l'Institute Analysis of Global Security think tank

Face aux sanctions occidentales qui limitent le commerce en dollar avec la Russie, l’idée de l’alternative du yuan (officiellement RMB, renminb) est remise au goût du jour par Lula. Le Bangladesh a franchi le pas en décidant de régler en monnaie chinoise une tranche du prêt consenti par Moscou pour la commande d’une centrale nucléaire. Restent des obstacles, à commencer par la création d'une banque centrale et de règles harmonisées.

Une « dédollarisation » sino-russe

La Chine réaffirme sa stratégie d’internationalisation du yuan en « dédollarisant » son économie et en s'appuyant sur la Russie. Une stratégie au long cours. Entre 2014 et début 2022, les sanctions occidentales ont eu comme conséquence l’augmentation du commerce entre la Russie et la Chine de près de 50 %. Le yuan gagne en importance dans les paiements internationaux, avec une croissance exponentielle de plus de 3 500 % entre 2016 et 2021. Le dollar reste la principale monnaie de réserve. Il représente 59,8 % des réserves de change des banques centrales en 2022, contre 2,8 % pour le yuan.

Mais les deux pays réduisent massivement leurs obligations américaines, suivis par d'autres comme le Japon ou l'Irlande qui diminuent leurs réserves en dollars. L'Iran a même basculé vers l'euro pour ses paiements internationaux.

Arabie saoudite : sortir de la rente pétrolière et s’affranchir du dollar

Autre pays en voie de « dédollarisation », l'Arabie Saoudite a conclu une alliance commerciale avec la Chine, la Russie, l'Inde, le Pakistan, et quatre autres pays d'Asie centrale, afin de s'affranchir de la dépendance au dollar américain. Le Royaume opère son virage vers la Chine, en accélérant des négociations pour convertir des contrats pétroliers en yuan.

La profonde refonte de son économie par le développement de son secteur minier va également dans ce sens. Le pays se diversifie pour sortir de la rente pétrolière et donc s'affranchir du dollar. Objectif : multiplier par trois la contribution du secteur minier au PIB, grâce à la présence dans son sol de phosphate, d’or, de cuivre, d’argent, de zinc, de nickel, de lithium, ainsi que d'uranium et de terres rares. L'Arabie Saoudite entend devenir un acteur important des transitions énergétique et numérique en devenant un fournisseur mondial de matières premières.

Brésil et l’Argentine : vers une monnaie commune sud-américaine

Les présidents brésilien et argentin ont décidé d'accélérer les discussions sur la création d’une monnaie sud-américaine commune pouvant être utilisée pour les flux financiers et commerciaux. Ce qui permettrait de réduire les coûts d'exploitation et la vulnérabilité des pays aux évolutions externes.

Inde et Émirats Arabes Unis : des paiements en monnaie locale

L'Inde et les Émirats Arabes Unis ont commencé à régler leurs échanges bilatéraux dans leurs monnaies locales. Le principal raffineur indien a effectué un paiement en roupies pour l'achat d'un million de barils de pétrole aux Émirats.

Les deux pays ont signé l'année dernière un accord de libre-échange dans le but d'augmenter les transactions non pétrolières à 100 milliards de dollars d'ici 2027.

Russie et Iran : une crypto-monnaie adossée à l'or

La Russie et l'Iran travailleraient ensemble pour lancer une crypto-monnaie adossée à l'or, qui pourrait remplacer le dollar américain pour les paiements dans le commerce international.

Quelles conséquences pour l’Europe ?

La guerre des monnaies est lancée qui pourrait avoir plusieurs conséquences pour l'Union Européenne :

  • à court terme, la « dédollarisation » des échanges risque d'entraîner une volatilité accrue de l'euro sur les marchés financiers. L'impact sur les taux de change rendrait les marchés plus imprévisibles, ce qui affecterait les exportations et les importations au sein de l'UE ;
  • à moyen terme, l'augmentation des échanges commerciaux entre les pays du « Global sud » entraînerait une intensification de la concurrence avec des pays émergents qui proposeraient des produits à des prix plus compétitifs, mais également avec d’autres pays industrialisés comme les Etats-Unis ;
  • à long terme, la perte de son statut de monnaie de réserve dominante du dollar pourrait affaiblir ou renforcer la position de l'euro en tant que deuxième monnaie de réserve internationale. Une baisse des réserves monétaires en dollars aurait des implications sur la stabilité financière de l'Union Européenne.

Sécuriser les données industrielles européennes face à la montée en gamme de la Chine

Fini le temps où l'économie chinoise était fondée sur la copie des produits occidentaux. L'heure est aujourd'hui à l'innovation et à la montée en gamme. Améliorer l'exploitation des données devient ainsi un axe fort de la stratégie économique chinoise, pour s'orienter vers une approche de service créatrice de valeur, comme le font les occidentaux.

La Chine accélère également sa transition industrielle et énergétique pour se positionner dans la compétition internationale, tout en répondant à la pression de ses habitants concernant la pollution : remplacement des centrales à charbon par le nucléaire dans son pays, panneaux solaires sur les toits des usines, lancement d'un marché carbone, etc.

Pour monter en gamme, la Chine structure son approche de l'innovation avec :

  • la construction d'un centre national d'innovation technologique, pour promouvoir le collaboratif et l'interdisciplinarité ;
  • le lancement d'une « Faculté des circuits intégrés » pour limiter sa dépendance dans le domaine des semi-conducteurs ;
  • une nouvelle « diplomatie de l'innovation », pour s'intégrer dans les réseaux internationaux, via les routes de la soie ;
  • les dépôts de brevets et une influence de plus en plus grande dans les comités techniques internationaux de normalisation.

Face à cette offensive, les Européens se mobilisent autour de l'exploitation des données sur laquelle se fonde désormais toute valorisation industrielle. Via des plateformes, l'Union Européenne réfléchit à mutualiser les données industrielles, filière par filière, afin de protéger les entreprises de l'utilisation de leurs données par des puissances étrangères. Ainsi, le projet franco-allemand Gaia-X vise à créer un moteur de recherche des fournisseurs de clouds européens.

Par ailleurs, la Commission Européenne pilote un observatoire des technologies critiques qui recense les domaines de dépendance de l’Europe et leur niveau dans la chaîne de valeur. Il s'agit de sécuriser les investissements du Plan de Relance et de les orienter vers les axes stratégiques.

TomDeJong_140_200« Les Européens et les Américains s’alignent sur les normes ISO. Les Chinois devront s’adapter mais on peut s’attendre à ce qu’ils soient fortement représentés dans les comités pour tirer les normes vers leurs intérêts. »

Sobriété et croissance : compatible ou paradoxal ? (3/3)

A l’heure où la sobriété semble être « le nouveau dogme », ne voit-on pas apparaître un paradoxe avec le modèle de croissance. Ces deux notions sont-elles compatibles ou paradoxales ?Desentrepreneurs et desexperts s'expriment.

« Lasobriété sous-entend une moindre consommation et principalement une baisse des volumes produits. Cela vient bousculer lemodèle fondamental de l’industrie quiest d’essayer de massifier la production pour faire baisser lescoûts unitaires. » Pour Anaïs Voy Gillis, spécialiste des questions de réindustrialisation, le lien entre sobriété et croissance n'est pas évident.

Un certain nombre d'industriels posent ouvertement la question du sens, à l'image de ce dirigeant : « Le paradoxe, c’est que l’on ne peut pas imposer une croissance infinie aux entreprises et leur demander enmême temps d’être moins impactante. Lepiège c’est le« technosolutionnisme » (fuite en avant par la technologie). L’enjeu d’adapter nos rythmes de production aux enjeux qui nous incombent et imposer une croissance du chiffre d’affaires du volume de production annuelle... La question essentielle que l’on doit se poser c’est quelle est lafinalité de cette consommation d’énergie : pourquoi consommer toute cetteénergie finalement ? ».

Certains n'hésitent pas àévoquer le mot de décroissance

Une question que se posent de plus en plus de collaborateurs, notamment les plus jeunes, témoigne ce chef d'entreprise : « Est-ce qu’à un moment donné, onarrête de vouloir constamment augmenter le rythme de production ? » Quand je pose cette question au sein de l’entreprise,ça commenceàréagir. »

Un de ses confrères surenchérit : « On voit apparaitre des discussions entre collaborateurs sur des modes de vie (moins de transport, plus d'autosuffisance alimentaire (jardin fruitier ou potager) ou énergétique (panneaux solaires, bois de chauffage,etc.).Les canicules du dernier été ont accéléré la prise de conscience d'une certaine irréversibilité climatique, amplifié la prise de conscience, voire qu'un pic de niveau de vie a été dépassé et qu'il va falloir revoir certains comportements et façon de vivreà la baisse. »

Certains n'hésitent pas à évoquer le mot de décroissance : « Commentcréer unréseau derésilience faceà cette transition environnementale et que les indicateurs de croissance ne sont pas ceux qui poussent à l’épanouissement des collaborateurs. Il fautdécorréler la croissance et l’épanouissement professionnel et personnel au travail. Il faudraitcréer unréseau d’entreprises quiréfléchissent ensemble à structurer ladémarche dedécroissance. Je suispersuadée que c’est la voie à suivre ».

 

Point de vue

« Les jeunes sont toujours attachés à avoir de beaux vêtements, mais du recyclé. C'est typiquement l'exemple où sobriété et croissance s'associent. Autre exemple, le flex office qui nécessite des mobiliers différents. Une entreprise comme Siemens développe des départements entiers de réparabilité. On rentre davantage dans une économie circulaire.

La définition de la croissance change mais on ne la connaît pas encore parce qu'elle ne correspond plus du tout avec produire plus pour gagner plus. Dans un monde fini, pensons-nous vraiment qu’il soit possible de croire en une croissance infinie ? »

« En tant que dirigeant, je m’interroge sur la façon de réduire l’impact environnemental de mon entreprise : réduire les transports (ne plus prendre l’avion, moins se déplacer). Je réfléchis à donner 2 mois de congés à mes salariés (plutôt que 5 semaines) pour leur permettre de se déplacer avec des modes de transport beaucoup plus lents. Et dans le même temps, je baisse les rémunérations avec l’argumentaire que les salariés auront plus de temps pour vivre. »

Pierre Mouyade, The M Equipment

 

« Nous sommes fournisseurs de ressorts en feuillard de rang 2 ou 3, majoritairement pour l’automobile. Nous avons développé une offre « augmentée » ou à « valeur ajoutée » pour répondre à des demandes des clients qui arrivent avec leurs définitions. Notre objectif est de proposer des solutions alternatives, validées par le biais de nos simulations pour, par exemplesimplifier l’assemblage de nos clients, augmenter les niveaux de contraintes ou changer de technologies afin de gagner du poids et réduire les déchets de découpe. Nous sommes en mesure de réaliser une dizaine d'offres augmentées par an qui nous permettent d’être plus attractifs.

Nous ne pouvons pas nous permettre de réaliser ce type d’offres pour toutes les demandes de prixmais dès lors que nous jugeons la demande stratégique. Cela nous différencie de nos concurrents, entre autres basés en Asie. C’est très important pour pérenniser et développer notre site car on exporte 67% à l’étranger. »

Yohann Gros, CGR

Tensions entre Taïwan et la Chine : des états et des entreprises sur le pied de guerre

Selon les experts, la question n'est plus de savoir si la Chine va envahir Taïwan, mais quand. Les récents évènements confirment la hausse des tensions entre les deux territoires et renforcent les inquiétudes dans le monde entier. Cette invasion du géant des semi-conducteurs créerait un séismeéconomique, tant ces composants sont essentiels dans les produits et services.Certains s'y préparent en diversifiant leurs sources d'approvisionnement.

« Les conséquences de la guerre en Ukraine, c'est juste un petit apéro par rapport aux conséquences s'il y a une invasion de Taïwan. » Pour Olivier Wajnzstok, directeur d'AgileBuyer, cabinet d’étude spécialisé dans les achats stratégiques, une invasion de Taïwan par la Chine aurait des impacts dévastateurs sur l’économie mondiale.

Le 4ème produit le plus échangé au monde

Et pour cause. Taïwan possède un quasi-monopole des semi-conducteurs. Plus de 90 % des puces les plus innovantes du monde et 50 % de tous les semi- conducteurs, sont actuellement produits dans l'île, sur un marché mondial estimé à plus de 580 milliards d'euros en 2022. Les circuits imprimés représentent le 4ème produit le plus échangé au monde, après le pétrole brut, le pétrole raffiné et les voitures.

Il est probable qu'à court-terme, par exemple en cas de regain de tensions géopolitiques ou de nouvelle reprise de l'épidémie, les coûts de production se renchérissent, notamment pour les secteurs les plus exposés, l'aéronautique, l'automobile et plus largement toute l’industrie de la transition énergétique.

En outre, un conflit entre les deux territoires entraînera le blocus de la mer méridionale de Chine, une des principales voies marchandes maritimes mondiales. Les chaines d'approvisionnements seraient ainsi largement touchées, provoquant allongement des délais et des couts logistiques.

26 % des directions achats des grandes entreprises françaises anticipent cette invasion

Pékin ayant pour objectif de devenir leader de l’intelligence artificielle (IA) d’ici 2030, l'industrie de semi-conducteur constitue un axe majeur de sa stratégie. La Chine y a investi plus de 185 milliards d'euros depuis 2014. Le dossier taïwanais se trouve donc au cœur des intérêts fondamentaux de la Chine.

Certains industriels ont la certitude que la Chine va envahir Taïwan. Selon une étude du cabinet AgileBuyer et du Conseil national des achats, 26 % des directions achats des grandes entreprises françaises anticipent cette invasion en cherchant des sources d’approvisionnement alternatives.

Une guerre économique sur les semi-conducteurs s'installe

Les Etats-Unis, l’Europe, le Japon et Corée du Sud se sont engagés dans une politique de relocalisation des productions de micro-processeurs et de semi-conducteurs sur leurs sols. De nouvelles alliances se nouent, comme « Chips 4 Alliance » proposée par les Etats-Unis au Japon, à la Corée-du-Sud et à Taiwan. Son objectif : rassembler les quatre pays pour couvrir l’ensemble de la chaîne d'approvisionnement des semi-conducteurs.

Washington sanctionne Pékin, pour contenir l’avancée chinoise dans l’IA et les semi-conducteurs. Les États-Unis interdisent à tout Américain de participer au développement, à la production ou à l’utilisation de semi-conducteurs dans une usine chinoise de puces électroniques et refusent les licences d’exportation des produits et logiciels permettant la fabrication de semi-conducteurs à toute entité chinoise.

Transition énergétique : un levier de la relance ?

La transition énergétique est présentée comme l’un des principaux leviers de la relance française. Encore faut-il dépasser certains paradoxes.

 

  • La France affiche des ambitions fortes. En témoignent les subventions importantes pour les énergies renouvelables (7 milliards d’euros en 2021, 3 à 5 milliards d’euros par an jusqu’en 2028) ou certaines mesures telle l’interdiction du chauffage à gaz dans les constructions neuves à l’été 2021 pour les maisons individuelles, en 2024 pour les collectifs

 

  • Dans le même temps, les aides à la transition énergétique, qui représentent 30 % des 100 milliards d’euros du Plan de relance, sont limitées à deux ans. Un délai trop court pour mettre en place des projets à moyen et long terme. Le message sur la transition écologique est également brouillé par certaines décisions : l’État pourrait ainsi se porter garant de prêts auprès des banques pour l'immense projet gazier de Total dans l’Arctique russe.

 

  • Principal acteur de l’énergie en France, EDF se convertit aux énergies vertes avec l'annonce de la première centrale nucléaire à énergie négative qui alimentera 6 millions de foyers anglais, tout en « aspirant » les gaz à effet de serre. L’opérateur EDF lance également la plus grosse obligation convertible verte au monde, pour financer des projets contribuant à la transition écologique.

Par ailleurs, EDF investit essentiellement dans le nucléaire. D’ici à 2030, ses capacités de production en énergies renouvelables ne devraient croître que d’1,5 GW par an.

  • Les mouvements citoyens affichent également des contradictions. D’un côté, on réclame de favoriser le recours aux énergies renouvelables en défendant une logique de circuit court avec une production d’énergie locale.
    D'autre côté, les collectifs se multiplient contre les éoliennes.

 

Vers la fin de l'hégémonie de l'Occident (1/3)

La « désoccidentalisation » du monde est en marche, avec l'émergence d'un « Global Sud » qui marque la fin de l'ordre mondial établi par les Occidentaux. Ce phénomène devrait s'accélérer avec un monde de plus en plus fragmenté qui rendra l'environnement économique des entreprises occidentales très mouvant.

15 % seulement des huit milliards de Terriens vivent dans ce qu’on appelle « l’Occident ». D'ici 2050, la proportion descendra à 10 %, selon les dernières estimations de la Division de la Population du Département des Affaires Économiques et Sociales des Nations Unies. À elle seule, la démographie témoigne du fait que « le phénomène de domination occidentale qui a duré 400 ans est une parenthèse qui est en train de se refermer », selon les termes de Maurice Gourdault-Montagne, ancien diplomate français et spécialiste des questions stratégiques et des relations internationales.

L'émergence d'un « Global Sud »

Une tendance de fond relevé par de nombreux spécialistes de la géopolitique : la désoccidentalisation s'accompagne de l’émergence d'un « Global Sud ». La guerre en Ukraine contribue à accélérer brutalement la déconstruction de l'ordre mondial établi par les vainqueurs de 1945. Elle marque la fin de l'illusion de l'ordre libéral international et la désaffection profonde à l'égard des principes qui le fondent. Pour Hicham Elhafdi, spécialiste en géopolitique et en relations internationales, « l’une des conséquences les plus inattendues de la guerre en Ukraine réside dans l’érosion de la prééminence occidentale pour donner le “La” dans la marche des affaires du monde. Le processus enclenché semble irréversible, chaque semaine apportant son lot d’illustrations de cette nouvelle tectonique des plaques géopolitiques. L’Occident est certes uni politiquement, mais il apparaît de plus en plus isolé sur la scène internationale, comme le démontrent les sanctions contre la Russie qu’il est bien le seul à appliquer. Il est fort économiquement, mais les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) viennent de dépasser le G7 en termes de contribution au PIB mondial en parité de pouvoir d’achat, et ce avec des économies plus solides car moins tertiarisées, et un élargissement du club à de nouveaux entrants. » Le sommet de Johannesburg fin août 2023 vient d'acter l'entrée de cinq nouveaux pays : l’Iran, l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis. « Tout l’enjeu pour le monde non occidental est d’inventer son modèle, au moment où le monde occidental tentera probablement de réinventer les modes de domination pour faire perdurer le sien », estime Hicham Elhafdi.

Un environnement de plus en plus incertain pour les entreprises occidentales

Déjà ressenti sur le continent africain où Russes et Chinois prennent des positions remarquées, cette perte d'influence de l'Occident qui devrait se généraliser à d’autres partie du monde se traduirait pour les entreprises par un environnement de plus en plus incertain. Selon Michel Duclos, ancien ambassadeur français, cette incertitude serait liée à un monde fragmenté où pourraient coexister plusieurs réalités :

  • la présence de multiples Internet, reflétant l'émergence de systèmes parallèles plutôt que l'Internet global actuel qui connecte les réseaux informatiques du monde entier ;
  • des chaînes d'approvisionnement de plus en plus influencées par des considérations géopolitiques plutôt qu'économiques ;
  • un environnement commercial incertain et arbitraire pour les entreprises occidentales, en raison de la montée des régimes autoritaires à travers le monde ;
  • une compétition féroce entre l'Amérique et l'Europe. Ainsi, les entreprises devront faire face à des défis plus difficiles dans ce contexte en évolution.

Certaines sociétés occidentales pourraient se voir contraintes de quitter des pays, par exemple, sous forme d'expropriation d'actifs, comme ce fut le cas de deux négociants de céréales. La Russie leur a signifié que les terminaux portuaires d’exportation de grains devaient dorénavant être opérés par des intérêts russes. Elle leur a imposé de vendre certains actifs à des opérateurs russes à un prix qui ne devait pas dépasser un certain montant. « Une multinationale peut s’en remettre, remarque un trader spécialisé dans le blé et les matières premières agricoles, mais s’il s’agit d’une entreprise de plus petite taille, cela peut réellement mettre en péril tout sa stabilité financière. »

Face à ces risques, des groupes américains relocalisent leurs activités dans des pays amis. Apple s’est ainsi lancé dans une course contre la montre pour transférer une partie de sa production de la Chine vers l’Inde et le Vietnam. L’Inde devrait récupérer 45 à 50 % de la production des iPhone d’ici à 2027, à égalité avec la Chine, où 80 à 85 % d’entre eux ont été fabriqués en 2022.

Les entreprises ne sont pas les seules à subir ces expulsions, les ONG se trouvent également en première ligne. Présentes partout dans le monde, elles sont de plus en plus remises en question. Elles se voient reprocher leur ingérence excessive et l’insuffisance de leur action, la mauvaise utilisation des fonds qui leur sont alloués, ainsi que leur incapacité à pleinement comprendre les pays dans lesquels elles interviennent.

« Les Américains achètent les hydrocarbures au prix américain et nous les vendent plus chers. Les Indiens et les Chinois achètent directement aux Russes. Joe Biden est allé en Arabie-Saoudite pour demander d'augmenter la production de pétrole. Qu'est-ce qu'a fait Mohamed Ben Salmane le lendemain ? Il est allé voir les Russes pour baisser la production. Comment allons-nous rester compétitifs ? » Emmanuel Bertrand, TIWAL

 « Nous recyclons nos matières 1eres et nous en achetons auprès de fournisseurs français ou européens. Nous ne voulons plus traiter avec la Chine ou ailleurs, quitte à être plus chers. C'est un choix que certains clients comprennent, d'autres pas. » Frédéric Gueret, Tollec