"VUCA", "BANI", ou les deux ?
Plutôt que d’opposer VUCA (Volatile, Incertain, Complexe, Ambigu) et BANI (Fragile, Anxieux, Non Linéaire, Incompréhensible),ne vaut-il pas mieux utiliserces deux visions du monde, pour adapter son approche managériale ?
« L’utilisation du terme « VUCA » pour décrire la réalité est de moins en moins pertinente ; déclarer qu’une situation ou un système est volatile ou ambigu ne nous apprend rien de nouveau. Pour emprunter un concept à la chimie, il y a eu un changement de phase dans la nature de notre réalité sociale (et aussi politique, culturelle et technologique). » Pour Jamais Cascio, prospectiviste, membre de l’institut des futurs, le concept VUCA (Volatile, Incertain, Complexe, Ambigu), introduit dans les années 1990 pour décrire les défis et les incertitudes de l'environnement post-guerre froide, ne correspond plus tout à fait à la réalité du monde.
Un nouvel acronyme : BANI pour “Brittle” (Fragile), Anxieux, Non Linéaire, Incompréhensible
Le monde VUCA met l’accent sur les incertitudes et les difficultés générales liés à la mondialisation ainsi qu’à la complexité des affaires et des relations internationales : incertitude, difficulté à prévoir les événements, à comprendre et gérer des situations complexes, à interpréter des informations, etc.
Cette vision ne suffit plus à décrire le monde actuel. Les académiques lui préfèrent un nouvel acronyme : BANI pour “Brittle” (Fragile), Anxieux, Non Linéaire, Incompréhensible. Popularisé par le futuriste et auteur Jamais Cascio pour décrire les caractéristiques des défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, il met en évidence la nécessité d'adopter des approches adaptatives et souples pour faire face à ces changements, et souligne l'importance de la résilience, de l'agilité et de la compréhension des systèmes complexes.
Une approche managériale pour répondre à la superposition de ces deux mondes
En fait, plutôt que de s’opposer, ces deux visions du monde très occidentales se révèlent complémentaires. Stéphane Grabmeister, un designer qui a participé à théoriser « BANI », propose une approche managériale pour répondre à la superposition de ces deux mondes. Aux quatre lettres de VUCA (Volatile, Incertain, Complexe, Ambigu) il oppose :
- la vision, c’est-à-dire la capacité à adopter une vision stratégique à long terme, même dans un environnement incertain, afin de prendre des décisions efficaces ;
- la compréhension pour apprendre en permanence, être toujours à l’affût de nouvelles informations et de nouvelles opportunités d’apprentissage afin de maintenir ses compétences et s’adapter à de nouvelles situations ;
- la clarté, pour assurer une communication efficace dans un contexte ambigu afin d’éviter la confusion et les malentendus et maîtriser un processus clair et simple pour résoudre les inconnues.
- l’agilité, afin de changer rapidement, de s’adapter à des situations imprévisibles et incertaines.
Concernant BANI (Fragilité, Anxiété, Non linéaire, Incompréhensible) Stéphane Grabmeister propose :
- la résistance et le résilience pour lutter contre la fragilité, en surmontant l’adversité par la capacité d’adaptation et de réaction aux difficultés. Cela vaut pour l’émotionnel comme pour le matériel. La clé c’est d’apprendre à reconnaître sa fragilité, à l’accepter et à trouver des moyens de l’utiliser à son avantage ;
- l’empathie, pour comprendre les autres, se rapprocher d’eux, gérer l’anxiété. La pleine conscience est également utile, car elle permet d’être conscient du présent et de ne pas se laisser emporter par des pensées négatives ;
- la capacité d’adaptation en fonction d’un contexte afin de répondre aux besoins humains complexes et non linéaires ;
- la transparence et l’intuition contre l’incompréhension, deux notions qui ne s’expliquent pas avec des mots mais que l’on ressent dans son cœur et son âme.
Pour Pierre Marie Gaillot, directeur de l’accompagnement à la transformation du Cetim, « la prise de décision et le pilotage de la stratégie dans l'incertitude sont devenus essentiels aujourd'hui, car toutes les méthodes existantes basées sur les constats passés ne fonctionnent plus. Les hypothèses du futur comme une simple projection du passé ne sont plus valables. Nous devons nous préparer à l'inconnu, à l'imprévu et prendre des décisions rapidement. Il n'est donc plus possible de se baser sur l'analyse des données passées pour projeter le futur. Nous devons trouver de nouvelles méthodes pour prendre des décisions dans un environnement incertain. »
« La prospective, ce n'est pas prévoir, c'est savoir ce que l'on va anticiper comme tendance, identifier des phénomènes et bâtir des scenarii. La question, c'est de pondérer les signaux faibles. On passe du plan à la planification, c'est-à-dire disposer des scénarii les plus adaptés à la situation qui arrive. Ce qui suppose de rester en veille pour les enrichir en permanence. »
Gilles Wackenheim, Edixia
« Le VUCA ne s’arrête pas. Il faut continuer à donner de la vision. Plus, on se projette sur le long terme, plus on a une vision. Avec BANI c’est une opportunité complémentaire de replacer l’humain au cœur. La culture française est plutôt adaptée à cela contrairement à d’autres, japonais, allemands…qui auront plus de mal. »
Richard Brunet Bosch Rexroth
« On est dans un monde fragile, non linéaire. Il faut savoir naviguer à tribord et à bâbord et changer le gouvernail. Ce monde anxiogène, on le vit depuis la crise de 2008, donc on l'a intégré. »
Frédéric Mignoty, Idem 85
« La vision BANI n'est-elle pas un point de vue d'occidental ? Je comprends de mieux en mieux le monde, quand je discute avec un Chinois, un Russe ou un Africain, je comprends leur code. Les cartes s'abattent. Ce que je crains pour mon pays, c'est que nous soyons mal armés pour affronter ce nouveau monde. »
Pascal Denis, Vernet Behringer
« On est un des pays qui a le taux d’anxiété et de morosité le plus élevé au monde, contrairement aux pays africains, asiatiques. Les générations qui arrivent sont très peu résilientes. Il ne faut pas opposer VUCA et BANI, il faut garder les deux, ils sont complémentaires. »
Sylvie Guinard Thimonnier