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"VUCA", "BANI", ou les deux ?

Plutôt que d’opposer VUCA (Volatile, Incertain, Complexe, Ambigu) et BANI (Fragile, Anxieux, Non Linéaire, Incompréhensible),ne vaut-il pas mieux utiliserces deux visions du monde, pour adapter son approche managériale ?

« L’utilisation du terme « VUCA » pour décrire la réalité est de moins en moins pertinente ; déclarer qu’une situation ou un système est volatile ou ambigu ne nous apprend rien de nouveau. Pour emprunter un concept à la chimie, il y a eu un changement de phase dans la nature de notre réalité sociale (et aussi politique, culturelle et technologique). » Pour Jamais Cascio, prospectiviste, membre de l’institut des futurs, le concept VUCA (Volatile, Incertain, Complexe, Ambigu), introduit dans les années 1990 pour décrire les défis et les incertitudes de l'environnement post-guerre froide, ne correspond plus tout à fait à la réalité du monde.

Un nouvel acronyme : BANI pour “Brittle” (Fragile), Anxieux, Non Linéaire, Incompréhensible

Le monde VUCA met l’accent sur les incertitudes et les difficultés générales liés à la mondialisation ainsi qu’à la complexité des affaires et des relations internationales : incertitude, difficulté à prévoir les événements, à comprendre et gérer des situations complexes, à interpréter des informations, etc.

Cette vision ne suffit plus à décrire le monde actuel. Les académiques lui préfèrent un nouvel acronyme : BANI pour “Brittle” (Fragile), Anxieux, Non Linéaire, Incompréhensible. Popularisé par le futuriste et auteur Jamais Cascio pour décrire les caractéristiques des défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, il met en évidence la nécessité d'adopter des approches adaptatives et souples pour faire face à ces changements, et souligne l'importance de la résilience, de l'agilité et de la compréhension des systèmes complexes. 

Une approche managériale pour répondre à la superposition de ces deux mondes

En fait, plutôt que de s’opposer, ces deux visions du monde très occidentales se révèlent complémentaires. Stéphane Grabmeister, un designer qui a participé à théoriser « BANI », propose une approche managériale pour répondre à la superposition de ces deux mondes. Aux quatre lettres de VUCA (Volatile, Incertain, Complexe, Ambigu) il oppose :

  • la vision, c’est-à-dire la capacité à adopter une vision stratégique à long terme, même dans un environnement incertain, afin de prendre des décisions efficaces ;
  • la compréhension pour apprendre en permanence, être toujours à l’affût de nouvelles informations et de nouvelles opportunités d’apprentissage afin de maintenir ses compétences et s’adapter à de nouvelles situations ;
  • la clarté, pour assurer une communication efficace dans un contexte ambigu afin d’éviter la confusion et les malentendus et maîtriser un processus clair et simple pour résoudre les inconnues.
  • l’agilité, afin de changer rapidement, de s’adapter à des situations imprévisibles et incertaines.

Concernant BANI (Fragilité, Anxiété, Non linéaire, Incompréhensible) Stéphane Grabmeister propose :

  • la résistance et le résilience pour lutter contre la fragilité, en surmontant l’adversité par la capacité d’adaptation et de réaction aux difficultés. Cela vaut pour l’émotionnel comme pour le matériel. La clé c’est d’apprendre à reconnaître sa fragilité, à l’accepter et à trouver des moyens de l’utiliser à son avantage ;
  • l’empathie, pour comprendre les autres, se rapprocher d’eux, gérer l’anxiété. La pleine conscience est également utile, car elle permet d’être conscient du présent et de ne pas se laisser emporter par des pensées négatives ;
  • la capacité d’adaptation en fonction d’un contexte afin de répondre aux besoins humains complexes et non linéaires ;
  • la transparence et l’intuition contre l’incompréhension, deux notions qui ne s’expliquent pas avec des mots mais que l’on ressent dans son cœur et son âme.

Pour Pierre Marie Gaillot, directeur de l’accompagnement à la transformation du Cetim, « la prise de décision et le pilotage de la stratégie dans l'incertitude sont devenus essentiels aujourd'hui, car toutes les méthodes existantes basées sur les constats passés ne fonctionnent plus. Les hypothèses du futur comme une simple projection du passé ne sont plus valables. Nous devons nous préparer à l'inconnu, à l'imprévu et prendre des décisions rapidement. Il n'est donc plus possible de se baser sur l'analyse des données passées pour projeter le futur. Nous devons trouver de nouvelles méthodes pour prendre des décisions dans un environnement incertain. »

 

 « La prospective, ce n'est pas prévoir, c'est savoir ce que l'on va anticiper comme tendance, identifier des phénomènes et bâtir des scenarii. La question, c'est de pondérer les signaux faibles. On passe du plan à la planification, c'est-à-dire disposer des scénarii les plus adaptés à la situation qui arrive. Ce qui suppose de rester en veille pour les enrichir en permanence. »

Gilles Wackenheim, Edixia

 

 

 

« Le VUCA ne s’arrête pas. Il faut continuer à donner de la vision. Plus, on se projette sur le long terme, plus on a une vision. Avec BANI c’est une opportunité complémentaire de replacer l’humain au cœur. La culture française est plutôt adaptée à cela contrairement à d’autres, japonais, allemands…qui auront plus de mal. »

Richard Brunet Bosch Rexroth

« On est dans un monde fragile, non linéaire. Il faut savoir naviguer à tribord et à bâbord et changer le gouvernail. Ce monde anxiogène, on le vit depuis la crise de 2008, donc on l'a intégré. »

Frédéric Mignoty, Idem 85

« La vision BANI n'est-elle pas un point de vue d'occidental ? Je comprends de mieux en mieux le monde, quand je discute avec un Chinois, un Russe ou un Africain, je comprends leur code. Les cartes s'abattent. Ce que je crains pour mon pays, c'est que nous soyons mal armés pour affronter ce nouveau monde. »

Pascal Denis, Vernet Behringer

« On est un des pays qui a le taux d’anxiété et de morosité le plus élevé au monde, contrairement aux pays africains, asiatiques. Les générations qui arrivent sont très peu résilientes. Il ne faut pas opposer VUCA et BANI, il faut garder les deux, ils sont complémentaires. »

Sylvie Guinard Thimonnier

Accélération du monde du travail et besoin de ralentissement personnel : point de rupture ou d’équilibre

L'écart se creuse entre le tempo toujours croissant du monde des affaires et la volonté individuelle de ralentir. La relation au temps dans le cadre du travail change et engendre de nouveaux modes d'organisation et de management.

La charge mentale supplémentaire ressentie pendant deux ans à fait naître un besoin de ralentir pour profiter de la vie. Au sein de l’entreprise, cela se traduit par la nécessité de diminuer la pression au sein des équipes, de revenir au fondement des relations humaines.

« La seule chose que nous maîtrisons et mesurons c’est la qualité des relations humaines »

« Il faut se concentrer sur des choses simples de la vie pour évacuer de la charge mentale, estime un dirigeant industriel. Au sein de mon entreprise,cela passe parla simplification de la relation avec nos clients.Comme nous n’avons aucune visibilité sur les prix ou l’énergie disponible, la seule chose que nous maîtrisons et mesurons c’est la qualité des relations humaines »,

Le regard du rapport au temps dans l'entreprise évolue. Pour Gilles Verrier, directeur général d’Identité RH « siles individus tendent vers un ralentissement, c’estparcequ’ils sont en train de courir en permanence, qu’ils sont sous pression, ils n’arrivent pasà effectuer leur travail parce que l’environnement ne le permet pas : ce qui explique le phénomène de distanciation. Le rapport au temps est en effet une des causes de la distanciation au travail. »

Certains dirigeants indiquent que le temps de trajet pour se rendre au travail prend de plus en plus d’importance. « Les gens cherchentà rapprocher leur lieu professionnel de leur lieu de résidence, pour gagner du temps : cela est un moteur assez fort lors des recrutement », souligne un chef d'entreprise.

Le CDI n'est plus un objectif en soi

Alors que le travail hybride a été engagé sous la contrainte de la crise sanitaire, le retour « à la normale » n’a pas eu lieu. « Entre retour au bureau et volonté de rester en télétravail, il n’y a pas de tendance qui se dégage,explique Alexandre Stourbe, directeur général du LabRH. Ainsi, nous allons d’une organisation de travail hybride conjoncturel qui se dirige vers le structurel. Un travail important s’annonce pour les dirigeants pour trouver le rythme adéquat au sein de ses équipes, prenant en compte les individualités. »

Le changement des formes de travail passe également par une mutation de la perception du temps. Ainsi, le CDI, autrefois le « graal » du salarié, n’est plus un objectif en soi. Il peut être considéré comme trop engageant, dans une période de « grande rotation ». Parfois une mission temporaire, un projet en particulier d’une entreprise, est plus attractif que l’entreprise en elle-même. Des salariés préfèrent ainsi des postes sur un délai précis, ou avec des missions/projets limités dans le temps. 

« Il faut arrêter de considérer que la quantité produite est proportionnelle au temps passé »

Gilles Verrier constate que « latransformation du rapport au temps dans le travail est liéeà la formidable accélération que connaît notre société depuis quelques décennies. Cette accélération du rythme rendue possible par les outils disponibles s’applique égalementà la personne. Hier, lorsque le travail relevait pour l'essentiel de l'exécution d’activités prescrites, il se mesurait en heures, puisque la production était directement proportionnelle au temps qui y étaitconsacré. Aujourd’hui, et encore plus demain, l'entreprise emploie des travailleurs du savoir, dont la matière à traiter est essentiellement composée d’informations et de relations... Il faut donc arrêter de considérer que la quantité produite est proportionnelle au temps passé et à l’intensité du travail fourni ! »

Ce qui génère de nouveaux modes de management et d'organisation qui transforment la posture managériale. Pour Suzy Canivenc, enseignante chercheure à MinesParisTech, spécialisée sur les innovations et nouvelles formes managériales, « faceà des équipes de travail qui tendentà s’autoorganiser et peuvent de plus en plus souvent choisir leur lieu et leurs horaires de travail, le manager doit abandonner son rôle traditionnel de « commande et contrôle »pour adopter un management de soutien professionnel et psycho-affectif. »

Point de vue

« Le temps est davantage vu comme une contrainte que comme une ressource. »

« Globalement, on doit sortir une efficacité dans un certain temps. Si la revendication sociale c'est d'avoir davantage de temps pour se promener, et bien il faudra être efficace dans l'entreprise en moins de temps.

Je pensais que le principe de réalité rattraperait les jeunes embauchés. En fait, c'est nous qui devons trouver des solutions pour nous adapter à un nouveau principe de réalité. »

Lionel ScanffSerma

Anticiper la sécurité psychologique entre l'Homme et la Machine - Regard d'expert

Vidéo:

Concernant les enjeux de création de collectif de travail entre l'Homme et la machine, nous sommes allés interviewer Serge Tisseron, Psychiatre et Psychologue et Directeur de l'Institut des Etudes de la relation Homme/robots.

Il met en alerte les entreprises sur le risque de plus en plus fort autour de la sécurité psychologique entre l'opérateur et sa machine. Demain, les machines adopteront des attitudes de plus en plus proche du fonctionnement cognitif des Hommes et le risque de la grande proximité entre l'Homme et sa machine sera de plus en plus grand. Serge Tisseron invite les entreprises à être de plus en plus vigilant autour de cette relation et mettre en place par exemple des questionnaires pour connaitre les attentes, les points de vue des collaborateurs sur les interactions qu'ils pensent ou ont avec les cobots qu'ils utilisent au quotidien.

Nous vous proposons de prendre connaissance de son point de vue à travers cette vidéo en deux parties: vous avez ci dessus la seconde partie de la vidéo 

Pour visualiser la première partie de la vidéo , cliquez ici

Candidat/recruteur : quand le rapport de force s'inverse

De nouvelles exigences sur les conditions de travail, un turnover plus important : en position de force, les candidats posent leur condition.

Face à un marché du travail en forte tension, plusieurs dirigeants notent un inversement du rapport de force dans les recrutements. Les candidats connaissent parfaitement les difficultés de certaines entreprises à recruter et la concurrence qui peut exister entre elles. Ils n’hésitent pas à démontrer que l’entreprise a plus besoin d’eux que l'inverse.

Ce qui crée de nouvelles exigences des candidats, indique Mélanie Floury, responsable du service Développement des compétences chez Via Industries : « Désormais, c’est le candidat qui choisit son entreprise. De la même manière, les nouveaux candidats affichent de nouvelles exigences sur les conditions et temps de travail ». 

« J’ai l’impression que je dois materner davantage les nouveaux arrivants, constate un industriel. Les rapports sont inversés : ils nous font ressentir que nous avons la chance de les avoir dans l’entreprise du fait de la pénurie de compétences et il faut donc redoubler de charme pour les attirer et les conserver. Ce qui a un impact sur les personnes présentes dans l’entreprise depuis plusieurs années».

Le phénomène du « salarié boomerang » serait-il en progression ?

L’état du marché du travail entraîne également un plus grand turnover, notamment sur les fonctions d’opérateurs. Une augmentation de salaires même de quelques dizaines d’euros suffit à les faire changer d'entreprise, parfois sur un coup de tête. Le turn-over apparaît moins risqué puisqu’ils pensent pouvoir trouver un nouvel emploi rapidement et mieux payé.

Pour autant, le phénomène du « salarié boomerang » serait-il en progression ? Certains dirigeants commencent à constater que certaines personnes parties depuis quelques mois semblent intéressées pour revenir dans l’entreprise. Ces employés, qui ont tenté leur chance ailleurs, s’aperçoivent que l'herbe n'est pas si verte dans le champ d'à côté, avec des conditions de travail moins souples, des horaires moins flexibles. Ce qui les conduit à remettre en question leur choix.

Point de vue

« La question de l'attractivité, il faut se la poser par tranche d'âge. Un opérateur qui a 55 ans aujourd'hui, est entré dans le monde du travail avec l'objectif de fonder une famille, mettre un toit au-dessus et acheter une voiture pour la déplacer. Les jeunes que je vois arriver ne veulent surtout pas être propriétaires, ils sont dans une finalité de service. Cela a une vraie répercussion sur les facteurs de motivation : ils sont dans l'instantané, ils veulent profiter et l'engagement leur passe complètement au-dessus de la tête. Les jeunes me disent : on préfère des week-ends prolongés quand il fait beau, plutôt que fermer entre Noël et le jour de l'an, pendant que les anciens tiennent à cette semaine. »

 

Point de vue

« Auparavant, le travail sur la marque employeur suffisait à faire rester les opérateurs mais depuis un an, ils partent beaucoup plus facilement sur un coup de tête. »

Comment attirer les jeunes dans l'entreprise : témoignage d'industriel

Vidéo:

Face aux enjeux d'attractivité de l'industrie, comment les entreprises peuvent-elles attirer les jeunes ?

Eric Yvain, Directeur général de Saunier Duval ECCI - Vaillant Group témoigne sur sa perception des enjeux et défis pour attirer les jeunes dans son entreprise et nous propose des solutions.

Ce témoignage est issu des Rencontres Prospectives de novembre / décembre 2020.   

Comment donner envie aux étudiants en manque de projection de rejoindre l’industrie ?

Et si l’industrie était l’un des meilleurs moyens pour des jeunes en quête de sens de satisfaire leurs aspirations ? Les industriels en sont convaincus, les PMI véhiculent les valeurs en adéquation avec attentes des étudiants.

Encore faut-il communiquer sur deux de leurs points forts : d’une part, leur utilité économique, pour le développement du territoire et pour la société, en répondant à des besoins concrets ; d’autre part, la place de l’humain. Dans une PME, un jeune peut réellement être un acteur et être plus qu’un numéro. Il est à même de travailler avec tous les services, prendre des responsabilités, disposer d’une certaine autonomie et actionner de véritables leviers d’actions pour faire avancer l’entreprise et son projet professionnel. L’agilité de la PME répond également à une attente des étudiants.

Ces valeurs et ces points forts qui mieux que le dirigeant peut les porter ? D’où l’importance de diffuser dans toutes les strates de l’organisation sa vision, la direction dans laquelle il souhaite entraîner l’entreprise et les raisons de ses choix. « La proximité du dirigeant permet d’incarner les valeurs », précise l’un d’entre eux. » C’est cette proximité qui a incité cette étudiante à choisir son stage en mécanique : « Le patron nous a expliqué en cinq minutes dans quel secteur il travaillait et pour quelles raisons. Je me suis dit “bingo !”, c’est trop bien, c’est avec lui que je veux faire mon stage, car ses valeurs m’ont parlé alors que je ne connaissais même pas l’entreprise ».

Point de vue

« L’industrie doit mettre en avant la modernisation des outils avec des courtes présentations, à l’image de ce que fait Leroy Merlin qui recrute sur le réseau social TikTok pour attirer les jeunes. »

Sylvain Houdou, Dintec

SylvainHoudou« J’accompagne un groupe d’étudiants dans le cadre du programme d’expérimentation de l’entreprenariat. Cela permet de sortir des liens classiques école/industrie, pour mieux comprendre les attentes des jeunes, leur montrer une image plus juste de l’industrie et les accompagner dans la découverte de la création d’une entreprise. De mon côté, cette expérience me permet de rester ouvert à de nouveaux concepts/idées ce qui est essentiel dans une démarche d’innovation »

Philippe Racapé, Atout Composites

PhilippeRacape« Actuellement, seules les PME accueillent des stagiaires. Pour attirer les jeunes, je mise sur l’identification à l’entreprise et la possibilité de passer sur plusieurs, là où dans un grand groupe ils n’auraient qu’une vision parcellaire. »

Comment évolue la fonction RH ?

Environnement, compétences, sécurité : ces trois champs pourraient prendre de plus en plus d’importance dans la fonction RH, la plaçant en position de chef d’orchestre des différents services de l’entreprise.

Saisir des enjeux de la transition environnementale de l’entreprise

 « Les préoccupations environnementales vont enrichir et repositionner les métiers des RH, en renforçant son aspect pivot dans l’entreprise. Elle sera essentielle pour faire collaborer ensemble des fonctions différentes et des métiers variés sous une même bannière : celle du chef d’orchestre de la transition écologique de l’entreprise, main dans la main avec le département RSE. » Telle est la conviction d'Aurélien Acquier, Enseignant-chercheur ESCP Business School.4.01 

Ce qui conduit logiquement à anticiper les emplois liés à la transition écologique et accompagner la montée en compétence des salariés sur la transition environnementale et son impact sur la société. Selon le Bureau international du travail, 24 millions d’emplois supplémentaires liés à la transition écologique pourraient être créés dans le monde d’ici à 2030.

L’école de commerce nantaise Audencia a lancé un nouvel établissement, Gaïa, pour former étudiants et cadres aux enjeux des transitions énergétiques, climatiques et sociales de leur entreprise. Parmi les disciplines enseignées, les sciences dures (climatologie, énergie, biodiversité, etc.) côtoient les sciences humaines (histoire, philosophie, sociologie, anthropologie, urbanisme, etc.). Au programme également des cours d'un nouveau genre : enseigner en marchant, plantation d’arbres, visites de fermes en permaculture, etc. Un comité stratégique RSE accompagnera le développement de Gaïa et une webserie est également prévue pour vulgariser les enjeux scientifiques (Chaîne YouTube Gaïa by Audencia).

Par ailleurs, selon une étude de l’ANDRH2, 90 % des DRH estiment qu’ils seront amenés à inclure davantage d’actions RSE dans leur pratique et, en particulier, à intégrer dans leurs réflexions les conséquences des événements climatiques à risque pour la vie de leurs salariés. En Floride, suite au passage d'un l’ouragan, l’entreprise H.G. Harders and Son, spécialisée dans la construction navale, a été confrontée pendant plus d’un an à une pénurie d’employés obligés de quitter leur logement détruit et la région.

 Animer un écosystème de compétences et de besoins

Prendre en compte toutes les parties prenantes, dans une logique « d’entreprise étendue », implique de gérer et d’animer un système plus large de compétences.

Autre hypothèse exactement inverse : la fonction RH serait-elle en partie prise en charge par d’autres acteurs de l’entreprise ? Pour Alexandre Stourbe du Lab RH, « les problématiques du dialogue social pourraient être transférées au service juridique et le développement RH plutôt géré par les managers pour répondre aux enjeux d’évolution professionnelle de leurs collaborateurs ». 

Former des ingénieurs à concevoir des procédés plus sûrs 

Entrée en vigueur le 31 mars 2022, la nouvelle loi sur la santé du travail, a pour objectif notamment d’inciter à penser les actions de prévention tout au long de la carrière des salariés. Et ce, dans un contexte où les organisations évoluent pour gagner en agilité : diversification des formes d’emploi et externalisation de l’activité (auto-entrepreneurs, intérimaires, co-traitants), organisations multi- spatiales, différences de rythmes (temps partiels, horaires décalés, etc.). D'où la question de l’efficacité de la prévention en matière de santé et sécurité au travail, qui s’appuie sur le collectif et l’implication des équipes 

Ensiacet, une école toulousaine d’ingénieurs spécialisée dans la chimie, le génie de procédés et le génie industriel, propose aux élèves de 1èere année une formation de 15 heures à la sécurité au travail. « Elle permet à ces jeunes ingénieurs de concevoir des outils, des procédés et des usines plus sûres lorsqu'ils arriveront sur le marché du travail, explique Philippe Balzer3, ingénieur conseil en prévention des risques professionnels pour la Carsat. Par exemple, lorsqu’ils imagineront un produit, ils penseront à la sécurité des personnes tout au long du cycle de vie de ce dernier ». 

 

1 - « La transition écologique au cœur des nouveaux enjeux RH, Axa Climate School avec le Lab RH.

2 – Association nationale des DRH

3 – Cité dans L'Usine Nouvelle

Alexandre STOURBE« L’entreprise de demain sera un hub de compétences et non plus une structure pyramidale. L’entreprise va devoir savoir animer des salariés et des freelances »,

Alexandre Stourbe, Le Lab RH

 

Comment faciliter le recrutement et l’intégration ?

Alors que certains prônent la simplification des tâches, pour faire face aux difficultés de recrutement, d’autres misent sur la formation interne pour faire rapidement monter en compétences les collaborateurs.

  • Face aux difficultés de recrutement et au turn-over, des entreprises simplifient les tâches pour faciliter l’accès de personnes non qualifiées. Pour compenser, elles misent sur la digitalisation et le renforcement des process. Par exemple, une PMI a investi dans une machine de mesure d’acquisition automatique afin d’éliminer les erreurs d’interprétation humaine.
  • Cette tendance à une forme de « re-taylorisation (intensification des rythmes, augmentation des contrôles, perte d’autonomie et marges de manœuvre) peut-elle avoir une incidence négative sur l’attractivité des métiers et de l’entreprise, ainsi que sur l’implication des salariés ? Et ce, au moment où les collaborateurs expriment le besoin de davantage de sens et d’épanouissement professionnel. Autrement dit, cette approche peut-elle renforcer encore plus les problèmes de recrutement ? Et n’y-a-t-il pas un risque de perte de savoir-faire ?
  • À l’inverse, d’autres industriels développent les formations en immersion pour les salariés non qualifiés, afin de les faire monter rapidement en compétences et combler le décalage entre formation initiale et besoin du terrain. Par exemple, un industriel a fait appel à un chaudronnier formateur indépendant pour faire bénéficier à ses employés de formations sur-mesure.
  • À la clé, un double avantage : valoriser le salarié avec une approche individualisée et assurer une productivité plus rapide pour l’entreprise.

thierry-maulard "Il faut être fou pour être dirigeant aujourd’hui en France. Quel que soit le métier, on n’arrive pas à recruter de nouvelles compétences. On organise des audits de compétences pour chaque salarié afin de former. On ne cherche plus des savoir-faire mais des savoir-être. S’il y a l’envie, on peut faire quelque chose ! On ne trouve plus de collaborateurs ! Où sont-ils ? Nous fidélisons nos salariés actuels avec des petits plus par exemple, l’utilisation du matériel de l’entreprise pour leurs besoins personnels. »

Thierry Maulard, Prod-Options

De nouvelles réponses à la pénurie de main d'œuvre

Face à la pénurie de main-d'œuvre, les industrielsne manquent pas d'imagination pourattirer et fidéliser des talents. Jusqu'à préparer leur départ pour mieux les retenir : l'off-boarding fait sonchemin dans les entreprises.

La pénurie de salariés provoque une recrudescence des débauchages. C'est ce que constatent plusieurs dirigeants qui voient d'un mauvais œil cette pratique, porteuse de risques et d’opportunités. « Il est difficileà mettre en place et peutcréer de nouvelles tensions, explique une cheffe d'entreprise. Ilnécessite également une attention plus forte des dirigeants et parfois l’obligation de s’aligner avec les offres desdébaucheurs pour conserver sesemployés. »

Autre moyen de faire face à la pénurie de main-d'œuvre : se tourner vers l'étranger, comme l'explique ce dirigeant : « Dans nos métiers,techniciens et ingénieurs, nous sommes arrivés à un point tel que nous sommes obligés de changer la manière de recruter. Soit il faut les débaucher mais ce n’est pas évident, soit chercher ailleurs. Par exemple,nos trois dernières recruessont un ingénieur informaticien vietnamien, un technicien marocain et un technicien tunisien. De nouvelles problématiques apparaissent, en particulier les difficultés d’obtenir un visa de travail, en plus de l’augmentation du temps de recrutement ». 

 

La robotisation, un moyen de compenser le manque demain-d'œuvre.

Les réseaux sociaux prennent une importance grandissante, à l'image de ce chef d'entreprise qui, depuis deux ans, communique sur ses nouveaux produits, l’ambiance dans l’entreprise, les potentiels investissements. Une stratégie qui porte ses fruits avec des sollicitations de clients et de candidats. Ce dirigeant indique que les derniers recrutements ont été réalisés via LinkedIn. Un outil peu utilisé dans ce cadre mais qui semble avoir un impact important.

La robotisation peut également être un moyen de compenser le manque de main-d'œuvre. Jusqu'à présent, les critères de productivité et de compétitivité dominaient dans la décision d'automatiser et de robotiser. Le manque de main-d'œuvre devient un nouveau facteur. Cette tendance se confirme et se renforce.

D'une manière générale, le recours aux nouvelles technologies semble être un palliatif. L’intelligence artificielle s'invite de plus en plus dans les fonctions RH notamment dans le recrutement. Ainsi, Amazon développe en interne un logiciel d’IA pour filtrer les candidats à l’emploi. Le nouvel algorithme de recrutement, AAE (Automated Applicant Evaluation) vise à repérer les similarités entre les CV des employés actuels donnant satisfaction, et ceux des candidats postulant à des emplois équivalents. À terme, cet outil vise à remplacer les recruteurs par des IA. En parallèle, Amazon a proposé à plusieurs centaines de recruteurs de quitter l’entreprise en leur offrant trois mois de salaire ainsi qu’une semaine de salaire par tranche de six mois d’ancienneté dans l’entreprise.

 

« Il n'y a rien de plus engageant que d'être libre de partir »

Qui veut conserver ses collaborateurs prépare leur départ : c'est la théorie de l'Off-boarding, qu'explique de manière approfondie Isabelle Barth, professeure en management à l'Université de Strasbourg. Le départ d’un salarié peut être source de plusieurs avantages : éviter les conflits, ouvrir l’opportunité du salarié boomerang, améliorer l'engagement de son employé et même le fidéliser.

Concrètement, le Off-boarding regroupe tous les processus, toutes les procédures et tous les services mis en place par une entreprise pour gérer et faciliter le départ de l’un de ses salariés. Que ce départ soit volontaire ou contraint. Cela passe par des entretiens professionnels plus poussés et plus réguliers, par exemple.

Une théorie validée par François Pellerin, chercheur associé de Mines ParisTech, qui voit « un magnifique paradoxe et le meilleur argument pour accompagner positivement les salariés sur le départ : il n'y a rien de plus engageant que d'être libre de partir, c'est valable pour toutes les activités humaines», estime-t-il. 

 

« Soigner l'off-boarding est important. À titre d’exemple, j'ai distribué des actions à un collaborateur qui quittait l'entreprise. C'est une façon de lui témoigner ma reconnaissance pour le travail accompli tout en montrant aux autres collaborateurs la considération de l'entreprise. »

Sacha Stojanovic, Meanwhile

Dépasser les paradoxes du rôle du dirigeant en situation de crise

Faut-il confiner ou maintenir l’activité ? Comment protéger les salariés tout en étant dépendant de la stratégie étatique en matière de masques ou de tests ? Les dirigeants se trouvent confrontés à de nouveaux risques pénaux. 

Au-delà de la responsabilité pénale, ils portent également une responsabilité morale : chacune de leur décision peut provoquer des réactions émotionnelles ou avoir un impact sur les parcours professionnels et la pérennité de l’entreprise. Il faut prendre soin de ses collaborateurs sans interférer avec la vie privée et réinventer des façons de travailler. En situation de crise et dans l’urgence, le chef d’entreprise doit redéfinir une vision, le plus souvent seul et sans référentiel puisqu’il s’agit d’une situation inédite. 

Alors que l’émotionnel occupe un espace inhabituel, le réalisme devient une nécessité stratégique, de même qu’une communication claire, dans un climat de défiance généralisée envers les autorités.

Les valeurs peuvent alors servir de boussole individuelle et collective :

  • baser ses décisions sur ses convictions : qu’est-ce qui n’est pas négociable dans ma société ? Quelle sera sa contribution dans les prochains mois et au-delà ? 
  • s’appuyer sur les valeurs de l’entreprise pour animer le collectif, la crise apparaissant comme une occasion de passer de leur affichage à leur mise en pratique.

Se développe alors un modèle centré sur le bien commun, c’est-à-dire l’apport positif de l’entreprise à ses collaborateurs et à son environnement. Un modèle dans lequel, le dirigeant apparaît moins comme un propriétaire que comme un leader.

Point de vue

« Une des responsabilités premières du dirigeant devient celle de la pédagogie et de la réalité. Être lucide devient plus que jamais un enjeu stratégique ! »

Point de vue

« Il est important que les dirigeants se remettent en question par rapport à ce qu’ils créent. Il faut arrêter de penser que l’entreprise appartient à une personne. L’entreprise est un bien commun qui doit être géré comme tel. Le dirigeant devient un leader, capable de mettre en mouvement le bien commun, avec sa vision et ses valeurs. »

anonyme« Depuis 30 ans, je porte le modèle de mon entreprise dont la valeur ajoutée repose sur les collaborateurs qui sont motivés par le développement durable et l'agilité. Ce sont les plus agiles qui survivront et il faut savoir entraîner ses équipes pour maintenir le cap dans ce sens. »

Nicolas Cosquer

Cosquer

Des collaborateurs multi-compétents

Dans des organisations ouvertes, il faut gérer un élargissement de compétences des collaborateurs, tout en maintenant des expertises très pointues sur des sujets de plus en plus complexes.

  • Digitalisation, lean, attractivité, qualité, responsabilité sociétale des entreprises, etc., l’entreprise conduit des projets transverses, ce qui conduit à ouvrir les organisations.
  • Cela oblige les collaborateurs à acquérir des compétences multiples. Dans le domaine technique, par exemple, les ressources humaines ont besoin de maîtriser le marketing pour développer la marque employeur ; davantage en contact avec le client, le technicien ou l’ingénieur doit maîtriser la relation clients.
  • L’évolution vers un dialogue direct entre l’entreprise et le consommateur pourrait conforter cette tendance et renforcer encore l’importance des soft skills, ces compétences comportementales, humaines et relationnelles.
  • Pour autant, l’industrie nécessite une expertise pointue sur des sujets, notamment technologiques, qui deviennent plus complexes. La poly-compétences ne saurait se faire au détriment de cette expertise. Les spécialistes sont-ils appelés à devenir également généralistes ? L’équation est compliquée.
  • C’est ainsi qu’apparaissent des cursus croisés sur des enjeux transverses. Par exemple, le programme de formation proposé par Greenflex et l’Ademe pour former les directeurs financiers des usines afin de les sensibiliser à l’efficacité énergétique, ainsi que les conseillers bancaires chargés de financer des dispositifs qui vont dans ce sens.
  • Cette pluridisciplinarité des métiers annonce peut-être une évolution des syndicats, pour lesquels la question de la représentativité pourrait se poser.

Distanciel, présentiel : réinventer les espaces de travail, l’organisation et le management

Avant la crise sanitaire, les entreprises réfléchissaient déjà à l’usage des locaux, notamment des bureaux, avec par exemple le concept d’espaces partagés pour les personnels nomades. Les sociétés de service allaient même jusqu’à envisager de supprimer leur siège social.

L’explosion du télétravail n’a fait que renforcer ces tendances. Si l’un des enjeux est bien sûr de réduire les coûts, l’attractivité des locaux alimente aussi les réflexions. Comment ces lieux peuvent-ils être porteurs de sens commun et contribuer à développer le sentiment d’appartenance ? Certains industriels agrandissent et modernisent ces espaces collectifs pour mobiliser les équipes et les projeter vers l’avenir.

Il s’agit bien de réfléchir aux liens sociaux dans les espaces, qu’ils soient matérialisés ou dématérialisés. « On voit apparaitre une hybridation du travail, entre distanciel et présentiel. Ne pourrait-on pas adapter les espaces à cette nouvelle réalité, c’est-à-dire dédier le distanciel au travail individuel et le présentiel aux travaux collectifs », s’interroge une DRH.

Le contrôle des télétravailleurs s’organise de plus en plus des rituels telle que la visio-conférence de début de journée, pour s’assurer que tout le monde est à son poste, ainsi qu’à travers des applications de surveillance du travail ou de la santé des collaborateurs.Par exemple, Fitbit, spécialiste des objets connectés et propriété de Google, a lancé un programme baptisé « Prêt à travailler » comprenant des enregistrements quotidiens des signes vitaux des salariés à l’aide des données captées via leurs appareils.

Pour autant, c’est bien vers davantage d’autonomie et de polyvalence que l’on s’oriente. Cela peut conduire à des organisations du travail plus petites et plus opérationnelles, à l’image de ces ETI qui se sont divisées en plusieurs PME. Cela passe aussi par la disparition d’échelons hiérarchiques intermédiaires et un management agile, au service d’équipes autonomes et polyvalentes.

 

 

Point de vue

« Pendant cette période où tout le monde était isolé, j’ai constaté de la bienveillance entre collègues et une prise de conscience sur le lien social. Chacun cherche du sens à son travail, une utilité. »

 

« Le télétravail va se pérenniser, ce qui va entraîner une réorganisation du travail et des espaces. Les tâches individuelles se feront au domicile, le travail au bureau permettra la cohésion d’équipe. Cela pourrait entraîner une dépersonnalisation des bureaux et une extension des espaces partagés. Cela suppose aussi de former le management intermédiaire à l’animation à distance des équipes. » 

Arnaud Lagarde, Sise

Du temps de travail sur mesure comme levier de fidélisation

Pour attirer les jeunes générations, les entreprises réfléchissent notammentà la mise en place de la semaine de 4 jours. Certaines sont déjàpassées àl’action.

Selon une enquête menée par l’IFOP pour Cadremploi de juillet 2022, de nombreux managers semblent sensibles à une semaine de travail de quatre jours sans baisse de salaire. 65 % des répondants soutiennent l'initiative, mais seulement 16 % des entreprises la mettent en œuvre. 52 % d'entre eux attendent des ajustements d'horaires. 

« Le pari que l'on fait, c'est que le bien-être individuel apporte une performance collective » 

KPMG France propose cette formule à ses collaborateurs nouvellement parents (naissance ou adoption) : un temps partiel à 80 % payé à 100 % (soit 4 jours sur 5) pendant une durée maximale de 6 mois. Cette initiative s’inscrit dans la continuité de la nouvelle promesse employeur de KPMG France, « L’Autre Contrat », en lien avec son statut d’Entreprise à Mission. Elle vise à répondre aux attentes de toutes les générations en quête de sens et d’impact positif sur l’économie, des territoires et de la société.

Certains vont encore plus loin. Les salariés d'IT Partner, une entreprise informatique lyonnaise vont travailler 32 heures par semaine au lieu des 35 heures auparavant. Le tout sans baisse de salaire. Ils auront également 47 jours de plus de repos par an, en contrepartie d'un allongement de la durée de travail de 30 minutes par jour. « Le pari que l'on fait, c'est que le bien-être individuel apporte une performance collective, explique Abnénour Aïn-Seba, directeur général. On va probablement perdre en rentabilité sur les trois premiers mois, mais ensuite je suis convaincu que l'on va pouvoir gagner de nouveaux clients, de nouveaux dossiers ».

Le test britannique semble concluant

Cette réflexion sur les durées et l’organisation des horaires de travail touche plusieurs pays européens. En Belgique, le « deal pour l'emploi » a été approuvé par les représentants syndicaux en septembre 2022. Cette nouvelle réforme du marché du travail signe la fin de la journée de 8 heures qui remonte à 1921. Le gouvernement laisse dorénavant le choix de travailler sur quatre ou cinq jours sans réduction ni du temps de travail ni du salaire. Le changement s’opère sur la durée du travail sur une journée : 9h30/jour sur 4 jours et 8h/jour sur 5 jours.

En Espagne et au Royaume-Uni, les gouvernements ont mis en place des tests sur la semaine de 4 jours en entreprise. Achevé fin 2022, le test britannique, semble concluant aussi bien pour les employés que pour les employeurs. Selon un article du Times, 88 % déclarent que « la semaine de quatre jours fonctionnait « bien » pour leur entreprise à ce stade ».

 

 

 

Point de vue

 

 

« 64 % des salariés français voudraient profiter d’une plus grande flexibilité dans l’organisation de leurs horaires de travail, avec la possibilité de les concentrer sur quatre jours. »

« Depuis le 1er novembre, nous pratiquons la semaine des 4 jours pour libérer du temps aux collaborateurs et gagner un jour de chauffage. Le déclencheur a été la demande de sobriété d’énergie à l’automne. Les personnes ont été interrogées séparément et, à l’unanimité, ont souscrit à l’initiative.

Cela fonctionne bien. L’horaire de fin n’a pas été changé. Ils commencent à 6h30 au lieu de 7h ce qui permet toujours d’aller chercher les enfants à l’école. »

Céline Hugot, Viollet Industries

Ecart générationnel : Comment transmettre et préserver les savoir-faire ?

Au moment où le vieillissement de la population complique les recrutements, les écarts générationnels et l'obsolescence rapide des compétences compliquent la transmission des savoir-faire.Des méthodes et l'utilisation du digital ouvrent des perspectives.

Rapport au travail, à la technologie, façons de communiquer… c'est un fait : les jeunes générations n'appréhendent pas le travail et les relations dans l'entreprise de la même façon que leurs aînés.

« Aujourd’hui c’est compliqué de faire « matcher » une personne de 25 ans et une de 55 ans » 

L'écart générationnel rend plus difficile les transmissions de savoir-faire. « Aujourd’hui c’est compliqué de faire « matcher » une personne de 25 ans avec une de 55 ans, estime un dirigeant. Elles n’ont pas les mêmes attentes. Si l'une d'elle campe sur ses stéréotypes, l'écart se creuse. » Cela peut aller jusqu'à la nécessité de gérer des problèmes relationnels. La progression de l'individualisme au détriment du collectif n'arrange rien.

Les postes de manager n’attirent plus, ce qui complique l’évolution de carrière. « Les jeunes recrutés aujourd’hui ne croient pas aux principes de hiérarchie, ils veulent du management transversal, indique un industriel. Il y a également beaucoup de pression, la gestion et les problèmes d’équipes, etc. Tout cela fait que le poste de manager n’attire plus. »

Une compétence technique a aujourd’hui une durée de vie moyenne de deux ans

La transmission des savoir-faire est également compliquée par le rythme de développement des nouvelles technologies. « Dans notre stratégie RH, nous intégrons le fait que les technologies sont très changeantes à un rythme bien plus rapide que le temps humain, explique un dirigeant. Avant, dans l'industrie, on avait 20 ans pour travailler notre sujet : cela nous permettait de former notre personnel, de l'accompagner. La direction était moteur sur l’orientation à donner et la façon de former le personnel. Maintenant ce n’est plus possible, chaque personne se doit d’être acteur de sa propre formation et monter en compétences ».

Pour Claudine Bras, responsable Analyse et Prospective, Solutions&Co, « la transition va nous faire aller beaucoup plus vite que ce que l’on imaginait. Sauf que le changement des pratiques n'avance pas au même rythme ». Selon un récent rapport de l’OCDE* (Organisation de Coopération et de Développement Économique), une compétence technique a aujourd’hui une durée de vie moyenne de deux ans. « Dès lors, la compétence ne s’évalue plus dans un contexte stable, mais instable et implique d’acquérir autant de savoir-être que de savoir-faire, si ce n’est plus », indique Pierre-Marie Gaillot du Cetim. Selon le Future of Work 2023, dans le top 5 des compétences clés sur lesquelles il faut focaliser les efforts de renouvellement et la formation, trois sont considérées comme relevant du savoir-être.

Commentapprendre tout en produisant ?

Les jeunes utilisent d’autres canaux que l'écrit pour apprendre. « Comment les « anciens » peuvent-ils transmettre leur savoir-faire à des personnes qui n’ont pas les mêmes méthodes d’apprentissage, ni les mêmes difficultés ? s'interroge Pierre-Marie Gaillot. Et comment former tout en continuant l'activité ? Une tendance se développe que l'on appelle le « Training Within Industry » (TWI), c’est-à-dire : comment j'apprends tout en produisant ? »

Ce concept de formation dans l'industrie est né au Département de la guerre des Etats-Unis. Il était destiné à maintenir la production industrielle pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que de nombreux jeunes entraient dans l'armée. La méthode poursuit deux objectifs principaux :

  • former le plus rapidement possible de nouveaux travailleurs pour remplacer les personnes envoyées au front ;
  • générer le meilleur rendement avec le moins de personnes possible, à la fois quantitativement et qualitativement.

Le TWI repose notamment sur l'aspect cumulatif des connaissances. Des personnes possédant une riche expérience forment des chefs d'équipe. Ces derniers passent à leur tour le flambeau à d'autres chefs d'équipe, et ainsi de suite.

Pierre-Marie Gaillot donne l'exemple du laboratoire du Cetim à Cluses où la méthode a été utilisée pour permettre à des personnes n'ayant jamais touché une machine-outil d'usinage de sortir des pièces en une semaine. « Les informations clés pour le pilotage et la conduite de la machine ont été captées puis transférées sur une tablette. Les utilisateurs les ont suivies pas-à-pas. Au bout d'un moment, ils en savent un peu plus et vont moins chercher l'information Les apprenants décident de l'assistance cognitive dont ils ont besoin, ce qui est intéressant pour la capitalisation et la transmission des savoir-faire ». Chacun avance à son rythme et selon sa propre méthode, décide seul de ce dont il a besoin, plutôt que via le pédagogue. Les erreurs sont également considérées comme un élément de progression.

Développer l'autonomie dans les équipes de production

La digitalisation permet également de combler le manque de main d’œuvre et de formation à certains postes. « Avant, on digitalisait pour des questions de performances et de productivité, rappelle Pierre-Marie Gaillot. C'est toujours le cas. Mais les problématiques de main-d’œuvre et de transmission des savoir-faire s'y ajoutent. Il existe des réponses en termes d'organisation et d’autres en termes de digitalisation. L’objectif étant de développer l'autonomie dans les équipes de production. »

 

*Perspectives de l’OCDE sur les compétences 2021.

« Je ne vois pas d'opposition ancien/jeune. Ce n'est pas la transmission dans l'entreprise qui pose problème. Nous avons des métiers qui nécessitent plus de deux ans de formation. Ils peuvent être intéressants à proposer à certains profils qui recherchent de la stabilité. Nous devons trouver les clés pour les repérer et les attirer. »

Nathalie Augé, AMTE (Bourgogne/FC)

 

 

« Certains jeunes refusent d'être managers. Il faut que le poste soit en corrélation avec leurs valeurs et c'est compliqué de les faire se projeter sur un plan de carrière. »

Naïma Cottin, Metalhom (Bourgogne/FC)

« On n'a jamais eu autant d'offres d'information, de formations et les écoles sont plus adaptées à nos besoins. Dans l’entreprise, nous avons 20 alternants en permanence que nous recrutons avec le même soin que nos collaborateurs. Ils sont efficaces rapidement. »

Richard Brunet Bosch Rexroth

Gérer la santé mentale des collaborateurs

 Les grandes crises génèrent des émotions tellesquel'anxiété et la peur qui s'invitent dans l'entreprise.Au-delà du bien-être au travail, la santé mentale des collaborateurs devient une problématique de santé au même titre que les risques musculosquelettiques. Une problématique à laquelle les dirigeants ne sont pas toujours préparés.

Bon d’achat, carte cadeau, financement d’activité extra professionnelles…, cette cheffe d’entreprise a mis en place depuis plusieurs mois de nouveaux moyens pour récompenser ses salariés. Elle souhaite aller plus loin en prenant soin de la santé de ses salariés avec la mise en place de séances d’ostéopathie dans l’entreprise plusieurs fois par an.

La venue d’ergonome et les conseils de santé sont aussi des éléments favorisant la santé et le bien-être. Une dirigeante d’une entreprise spécialisée dans les solutions d’aménagement de postes de travail indique un changement d’approche de ses produits : « Auparavant les clients achetaient nos solutions pour rendre le travail plus efficace, dans une logique de compétitivité. Nos arguments en faveur de la santé et du bien-être des salariés étaient secondaires. Depuis quelque temps, nous voyons de nouveaux clients arriver avec la volonté de prendre soin de leurs salariés en leur rendant le travail moins difficile. Les arguments sur le bien-être et la santé sont devenus prioritaires ».

Et pour cause. Si l'après Covid a apaisé les équipes, de nouvelles tensions sociales apparaissent. Sur la question des salaires d'abord : « Il existe des attentes importantes sur l’augmentation des salaires,reconnaît un dirigeant mais cela va être difficile. Malgré les efforts, il y aura de grosses déceptions. »

Au-delà de la rémunération, certains chefs d'entreprise constatent que des émotions telles que la peur et l’anxiété reviennent en force chez les individus, liées à la hausse des prix, à la guerre en Ukraine, à l’imprévisibilité du futur et à l’éco-anxiété.

« Mon rôle en tant que dirigeant est un rôle paternaliste, de protecteur »

Au point que certains dirigeants souhaitent renforcer leur posture de « protecteur » pour dépasser les tensions sociétales de plus en plus fortes. « Faceà l’urgence climatique, énergétique et la panique que cela créé dans la société, les personnes cherchent le coupable que cela soit l’État ou l’entreprise, témoigne l'un d'entre eux. On cherche partout le bouc-émissaire. Mon rôle en tant que dirigeant est un rôle paternaliste, de protecteur. » Une de ses consœurs se déclare « fatiguée de gérer « le bureau des pleurs ». Je dois de plus en plus intervenir enpersonne auprès des clients, des fournisseurs ou collaborateurs pour dissiper les conflits ». 

Dans une période de post-confinement, de tensions géopolitiques et d'« anxiété environnementale » les problèmes de santé mentale s'invitent dans l'entreprise. Au point d'être garante de la santé mentale de ses collaborateurs ? C'est ce que prédit Alexandre Stourbe, directeur général du LabRH : « Le rôle des RH sur les problèmes mentaux des salariés va sûrement devenir de plus en plus important ».

De fait, le nombre de cas de problèmes de santé mentale augmente fortement.

En 2022, si les arrêts de travail n’ont pas cru de manière importante, leur nature a changé. Ceux pour troubles psychologiques ou épuisement professionnel sont les seuls à progresser régulièrement (hors Covid) passant de 15 % en 2020 à 20 % en 2022.

 

« Il n’y a qu’UNE santé mentale »

Aujourd'hui, le risque psychosocial est la 2ème cause d'absentéisme après les troubles musculosquelettiques. Les problèmes de santé mentale s'accompagnent de de perte d'engagement, de productivité et de créativité. Selon Christophe Nguyen, Président du cabinet Empreinte humaine et expert du Lab de Welcome to the Jungle, « quand on parle de “quietquitting”, de “great resignation”, de problèmes de recrutement ou encore de démission anticipée de CDD, tout cela illustre le même phénomène de santé mentale au travail. Les gens n’en peuvent plus de travailler dans des conditions qui menacent leur santé ».1

Benjamin Saviard, directeur d'Icas France remarque que « de nombreux DRH s’interrogentlégitimement : est-ce que lesproblèmes deharcèlement scolaire de l’enfant de mon salarié ou son divorce me concernent ? Ils constatent bien que ces situations ont un impact sur la motivation, la performance, que cela peutgénérer des situations de conflits... Alors oui, moi je leur dis que c’est leurrôle ! Surtout qu’on ne peut jamaisêtre 100 %catégorique sur l’origine d’un burn-out ou de situations d’angoisse. C’est souvent multi-causal : on ne sait pas depuis combien de temps desproblématiques peuvent faire ping-pongentre lessphères privées et professionnelles. Il faut bien comprendre qu’il n’y a qu’UNE santé mentale ».2 

Personne n'est épargné : les dirigeants interviewés lors de cette collecte expriment également leur fatigue mentale. L’accumulation des crises sanitaires, des approvisionnements, énergétiques, environnementales et sociétales, et tous les doutes et craintes face à l’incertitude à venir contribuent à augmenter considérablement le stress psychologique des chefs d'entreprise.

 

La fonction RH utilise de plus en plus l'IA pour exploiter des données

Demain, si elles veulent garder leurs salariés, réussir à embaucher et continuer à fonctionner, les entreprises devront mettre des moyens sur le sujet. Certaines mettent en place des plateformes d’observabilité intelligentes permettant de soutenir les travailleurs occupant des fonctions critiques. Par exemple, les ingénieurs et techniciens chargés du pilotage, de la sécurité et de la maintenance des grandes infrastructures telles que des usines, des réseaux électriques et numériques ou encore des infrastructures de transport, sont soumis à des niveaux de stress psychologique élevés sur le long terme. L’intelligence artificielle, qui permet une surveillance automatisée des systèmes, contribuerait à prévenir ces risques psycho-sociaux.

« Lorsqu’une anomalie est détectée par la plateforme d'observabilité, l'IA effectue une première évaluation de la situation ainsi qu’une analyse des causes profondes (ou RCA pour « Root CauseAnalysis ») avant de recommander l'action appropriée, explique Sofia Chedlivili, Sales Director France de New Relic. Les ingénieurs peuvent ainsi travailler plus rapidement dans des situations de crise, en sachant que leur conduite est appuyée sur une technologie basée sur l'IA. L'observabilité et l'IA contribuentà atténuer leur stress en agissant comme une seconde paire d'yeux. Elles permettent ainsi aux entreprises de valoriser plus efficacement l'expérience et les compétences de leurs employés en réduisant les processus manuels sujets à l'erreur humaine, et en portant leur attention sur des tâches stratégiques à plus forte valeur ajoutée. Sur le long terme, il s’agit donc d’un levier décisif pour réduire la fatigue et le stress des collaborateurs tout en optimisant leur engagement. »

Tendance de fond dans une économie qui valorise de plus en plus les données en tous genres, la fonction RH utilise de plus en plus l'IA pour exploiter des données tels que le salaire, l'absentéisme, le burn-out, les projets, les compétences, les formations… Pour Alexandre Stourbe, l'exploitation de ces données « peut amener les gestionnaires à identifier des services, des fonctions ou des postes dans lesquels on constate davantage de difficultés. Cela pourrait permettre de mettre en place des actions managériales plus ciblées ». Ce qui n'est pas sans soulever quelques questions éthiques ou légales sur la conservation des données sur la santé mentale des collaborateurs.

 

1La santé mentale, le nouveau Graal des entreprises, Welcome To the Jungle, 10/10/2022

« L'entreprise devient un centre de vie c'est-à-dire qu'on doit apporter des services qui vont au-delà de simplement proposer un job : livraison de fruits et légumes, pressing, crèche, etc. Cela renforce la connivence professionnelle entre les collègues ainsi que l'attachement à l'entreprise et le sens que l'on donne à venir à au travail. »

Emmanuel Brugger, Cristel

« Jusqu'à présent, on m'interrogeait sur l'aménagement du poste de travail, sous l'angle des gains de productivité. Aujourd'hui, nos clients viennent nous voir pour améliorer les conditions de travail de leurs salariés, ce qui, au final, favorise la productivité. Ils nous demandent conseil pour conserver leurs équipes. Le discours change. » 

Fabienne Derain, Yzytek

« J'ai 60 ans, je suis ingénieur mécanicien, je me retrouve à être chef d'entreprise et je suis obligé de devenir psychologue en chef sur un certain nombre de thèmes que je ne maîtrise pas. Et ce, en me mettant moi-même la pression parce qu'il faut garder des talents et leur donner du sens. »

Pascal Denis, Vernet Behringer

L'éthique, un élément à part entière de la stratégie ?

Les crises sanitaires, géopolitiques et climatiques imposent-elles aux entreprises de prendre clairement position et de s’engager ?

« Au-delà de revendiquer des valeurs dans l’entreprise, appliquons-les dans le business. Le monde entre dans une phase où il est mis au pied du mur. Le réel nous rattrape, nos contradictions sont en train d’éclater. » À l'image de ce dirigeant, certains industriels affirment vouloir prendre des positions plus radicales vis-à-vis de leurs clients, en cherchant à travailler avec des entreprises plus loyales, plus éthiques. Il faut dire que, de plus en plus, les entreprises doivent gérer des conflits de valeurs. Exemple : le groupe familial Mulliez a décidé fin mars de maintenir ouvertes certaines de ses enseignes en Russie, arguant de « sa responsabilité vis-à-vis de ses 45 000 collaborateurs et de leurs familles (...) Fermer l’entreprise du jour au lendemain, fermer nos magasins serait tout simplement un abandon considéré comme une faillite préméditée, donc illégale, ouvrant la voie à une expropriation, qui renforcerait les moyens financiers de la Russie », expliquait le groupe. Ce à quoi un industriel a réagi lors de la collecte : « Si vraiment ils voulaient afficher leurs valeurs, ils maintiendraient le salaire de leurs collaborateurs russes sans les faire travailler. Le groupe Mulliez en a largement les moyens. Elles sont là, les vraies valeurs. »

Les jugements de nature morale, qui pèsent davantage sur les prises de position, se révèlent plus contradictoires, sous l’effet d’attentes divergentes des parties prenantes. La pression croissante de différentes parties prenantes conduit à penser que l'éthique devrait faire l'objet d'une approche plus stratégique de l'entreprise.

Point de vue

« Les consommateurs, les investisseurs et les employés se préoccupent de plus en plus de la relation entre les entreprises et la société. Aujourd’hui, on réfléchit aussi à ce que les entreprises devraient faire en matière de droits humains, de changement climatique (...). On commence à voir émerger l’idée que les entreprises devraient réfléchir à une approche plus stratégique de l’éthique. »

Point de vue

« Nous sommes à un moment de vérité où les entreprises doivent s’adapter aux situations en pleine déstabilisation de l’économie. On ne pourra plus tricher dans la société. »

Photo Marie Fontaine_140_200« C’est quoi un bon chef d’entreprise ? Celui qui a de bons ratios financiers et/ou celui qui a une approche vertueuse de l’utilisation des ressources et des matériaux ? On devrait introduire des indicateurs écologiques dans les tableaux de bord. »

Marie Fontaine, Techné 

Sylvie GUINARD« Être propriétaire de son bâtiment présente l’avantage de pouvoir faire des investissements en matière d’économies d’énergie et d'écologie. Des investissements qu’un locataire hésitera à faire. Nous souhaitons travailler avec notre village afin de proposer, par exemple, de l’eau stockée en rétention pour des usages d’arrosage, mais aussi développer une zone visant à l’implantation d’autres acteurs économiques. » 

Sylvie Guinard, Thimonnier

L’intelligence adaptative, moteur des transitions

Toute transition est susceptible d'être freinée par nos perceptions, nos certitudes et nos croyances. Un phénomène naturel que les neurosciences peuvent aider à comprendre et qui a son « antidote » : l’intelligence adaptative. Explications avec Pierre Moorkens, fondateur, Institute of NeuroCognitivism.

Face aux situations complexes, l’intelligence adaptative, intégrée au cortex préfrontal, nous permet de gérer l’inconnu, la nouveauté, la non-maîtrise.

Elle présente six caractéristiques qui nous aident à aborder l’inconnu avec plaisir :

  • la curiosité,
  • l’acceptation (questionnements et vision plus lucide de la réalité),
  • la capacité à relativiser,
  • l’intuition,
  • la réflexion logique et la rationalité (réflexion sur les causes et les effets),
  • la prise de position personnelle en cultivant d’abord son agilité d’esprit.

Il convient de déconstruire nos croyances pour faire évoluer nos « logiciels » intellectuels. Les croyances peuvent se définir comme des certitudes, sur le monde, autrui ou nous-mêmes, que l'on pense impossible à remettre en question, qui sont « ancrées » comme des évidences 

« S’aventurer dans un monde neuf »

Selon Pierre Moorkens, « dès que l’on est bloqué par quelque chose, c’est que dans notre tête, dans le mode limbique, on a des certitudes, des croyances qui nous bloquent. Il faut déconstruire ses croyances et ses idées pour ne pas se laisser guider par le cerveau en mode limbique. L’enjeu est de se questionner sur la façon dont chacun peut s’adapter à ce monde qui change, changer de regard sur ce qui nous entoure. S’aventurer dans un monde neuf, c’est abandonner nos certitudes pour découvrir autre chose. Il faut utiliser la passion de la découverte pour s’ouvrir et parfois abandonner d’anciennes habitudes, des concepts qui peuvent être remis en question dans un monde qui change si vite ».

Exactement ce qu'a appliqué un industriel : « Il faut donner du recul aux personnes face à ce climat d’incertitude. J’encourage mes équipes à analyser cliniquement les faits et à se questionner autour de l’attitude intelligente à adopter pour faire face au problème. Face à des scenarios catastrophes, la question ce n’est pas : « Est-ce que ça va se passer ? », mais plutôt : « Est-ce que l’on est prêts ou pas ? ». La crise, c’est ce que l’on en fait, donc je les amène à développer des capacités d’anticipation et de créativité ».

 Un exercice pour aider à déconstruire ses croyances 

 Un exercice permet de cultiver son intelligence adaptative en aidant à déconstruire ses croyances : faire appel aux avantages et aux inconvénients de nos certitudes. Par exemple, l’efficacité est une qualité essentielle en entreprise. Et si elle avait des inconvénients dans certaines situations ? Par exemple, l’efficacité peut nuire à une prise de recul et brimer la créativité.

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Point de vue

« Lorsqu’on est stressé, notre intelligence adaptative ne fonctionne pas. Lorsqu’on est serein, cela se traduit dans la communication et donne une force collective dans l’action. »

Pierre Moorkens fondateur, Institute of NeuroCognitivism

Le cocooning est-il compatible avec l'agilité ?

Pandémie de Covid, guerre russo-ukrainienne, transformations accélérées des organisations, réchauffement climatique, manque de visibilité sur l’avenir…, les phénomènes anxiogènes se multiplient. Au point de provoquer chez les collaborateurs un besoin de protection auquel les dirigeants ne sont pas insensibles.

Le cocooning prend plusieurs formes :

  • rendre les salariés acteurs de l’entreprise pour conjurer la peur, la passivité et le défaitisme ;
  • développer une forte attention à la sensibilité et aux besoins des collaborateurs, tout en personnalisant la relation de travail ;
  • accepter la vulnérabilité et la non-maîtrise, voire ritualiser l’échec, pour favoriser la prise de risques, à l’image de la prime d’échec instaurée par Sony Music France.

Ce besoin de cocooning des collaborateurs est-il compatible avec l’esprit d’innovation, l'agilité et la vitesse de transformation nécessaires à la performance des entreprises ? Cela suppose de gérer la temporalité — les actions à court et la vision à long terme — tout en maintenant la cohésion de l’entreprise. Principal risque : épuiser certains collaborateurs en avance de phase, quand les autres commencent tout juste à s’imprégner de nouvelles thématiques.

Point de vue

« Prendre soin de soi comme manager pour mieux prendre soin des salariés constitue dans le management d’accompagnement une priorité : l’individu a besoin de se retrouver avant même de pouvoir manager. »

Le temps se repense à l’intérieur de l’entreprise

La crise sanitaire bouleverse la notion de temps ou tout au moins renforce des tendances en cours. Ainsi, le « stop and go » lié aux différents confinements, les ruptures de rythme et les incertitudes sur l’avenir changent les notions même de court, moyen et long termes.

Déjà en gestation, la prise en compte du temps de la vie personnelle dans l’organisation du travail s’accentue. Ce qui peut favoriser l’agilité de l’entreprise tout en assurant un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. À la demande des salariés, certaines entreprises repensent leurs horaires pour tenir compte de leurs contraintes individuelles : ouverture de l’entreprise le week-end, travail de nuit, horaires élargis entre 5h et 18h avec un roulement des équipes, etc.

Selon l’anthropologue Fanny Parisse, la crise sanitaire invite également à « prendre le temps du recul avec une vision moins émotionnelle au sein de notre vie professionnelle et personnelle ». Cela permet de mieux supporter les contraintes, et de « rendre plus acceptable la situation pour amener plus de cohérence pour nous-mêmes et les autres ».

Enfin, le temps apparemment improductif prend de la valeur. Selon Gwenaelle Rot, sociologue spécialisée dans l’organisation du travail, « on peut avoir l’image d’un travail sans à coup, alors que, dans certains métiers, les rythmes sont en réalité discontinus, avec des phases d’accélération et d’attente. Dans les moments de “pause”, les gens ne semblent pas travailler mais ils sont en réalité dans une situation de vigilance, telle que la surveillance des infrastructures pétrolières. Ces temps de surveillance et d’observation doivent être considérés comme une activité à part entière par les entreprises. »