Biomimétisme : quand la nature inspire l’innovation
Survivre dans la nature oblige les espèces animales et végétales à faire preuve d’imagination pour se nourrir, se mouvoir, se protéger ou se reproduire. Une source d’inspiration pour les industriels qui trouve tout son intérêt à l’heure de la transition écologique. Un article réalisé à partir du webinaire, organisé par Prospective, de Christelle Roger, Présidente Fondatrice de Myceco, Adrien Saint-Sardos, Chef de projet matériaux Ceebios et Raphael Masquelier, Directeur marketing et communication de Festo France.
- Qu’est-ce que le biomimétisme ?
Le biomimétisme consiste à s’inspirer du vivant, des modèles biologiques, pour concevoir des technologies ou des organisations durables. Il bénéficie d’un cadre normatif orienté vers l’éco-conception des matériaux. Il est pluri et interdisciplinaire et nécessite de faire travailler ensemble des métiers aussi divers que des ingénieurs, des biologistes ou des auteurs de science-fiction.
La biomimétisme permet de relever trois défis majeurs : la préservation de l’environnement, la capacité de réponse aux défis technologiques et la création d’emplois dans les territoires.
- Quels atouts pour la France ?
Pour mieux comprendre le fonctionnement du vivant, la France bénéficie :
- d’un capital intellectuel exceptionnel, avec 200 équipes de recherche et plus de 200 start-up,
- de 10 % de la biodiversité mondiale
- des 70 millions de spécimens du Museum d’Histoire Naturelle.
Si le biomimétisme n’apparaît pas en tant que tel dans l’approche des politiques publiques, l’OPECTS (Office Parlementaire de l’Évaluation des Choix Technologiques et Scientifiques) en faisait, dès 2006, le premier élément de la révolution technologique. Le CNRS l’a inscrit en 2019 comme potentiel d’innovation pluridisplinaire dans son contrat d’objectifs et de performance. Dans le cadre du PIA (Projet d’Investissement d’Avenir), un projet d’équipement prioritaire de recherche lui est dédié. Une feuille de route nationale a été rédigée pour cadrer des actions au niveau national pour favoriser l’essor du biomimétisme.
Chiffres clés
- Investissements
- 425 millions d’euros aux États-Unis depuis 2009
- 200 millions d’euros de fonds publics en Allemagne depuis 20 ans
- 27,7 millions d’euros dont 19,3 millions de financement public en Suisse entre 2014 et 2017
- 900 000 euros en France mais le biomimétisme n’est pas flêché
- Marché mondial 16 milliards d’euros d’ici 2028 (source Institut BisResearch)
- Quelles applications ?
Énergie
Dans le vivant, on sait transformer l’énergie en mouvement. Des start-ups imaginent l’inverse : utiliser le mouvement pour créer de l’énergie. C’est ainsi qu’est née une hydrolienne souple qui ondule comme une murène, ou une éolienne inspirée par le mouvement d’un banc de poissons.
Adhésifs industriels
Plusieurs stratégies existent dans le vivant :
- le gecko avec ses ventouses ;
- la moule et le ver château de sable avec des filaments et des colles qui résistent aux conditions salines ;
- le lierre qui crée une colle à partir de pectine et de nanoparticules.
Des entreprises se sont inspirées de ces stratégies pour créer des adhésifs industriels.
Automobile
En partenariat avec l’Université d’Évry, Renault a étudié la façon dont les marathoniens gèrent leur énergie pour concevoir des algorithmes de voitures hybrides.
Chimie et physique de surface
Avec sa mouillabilité très faible, le lotus évite de se faire envahir par les bactéries et une simple goutte d’eau nettoie sa surface, pour favoriser la photosynthèse. Sa surface hydrophobe et lipophobe* permet à la plante carnivore de tout digérer. Le sténocaraphe, un scarabée du désert, récupère une goutte d’eau par jour grâce à sa nano surface. Autant de propriétés utilisées dans des technologies de récupération d’eau ou de propreté des surfaces.
*Qui repousse les graisses et les huiles.
Bâtiment
Suivant le degré d’hygrométrie, la pomme de pin s’ouvre ou se ferme pour se reproduire. Un laboratoire de Stuttgart a conçu un pavillon qui, sans énergie, régule sa température en ouvrant et fermant les « pores » du bâtiment.
Le béton autocicatrisant comprend des capsules qui contiennent des bactéries dormantes en temps normal. En cas de fissure, les capsules se cassent, les bactéries sont réactivées par l’eau et libèrent du carbonate de calcium qui cicatrise le béton.
Fabrication du verre
Les diatomées (micro-algues) ont un squelette cellulaire en silice réalisé dans des conditions très douces : température ambiante, pression sous-marine. Des recherches académiques s’inspirent de ce modèle pour substituer le procédé classique de fabrication du verre très énergivore.
Capteur et informatique
Une équipe de l’Université de Tours étudie des insectes qui captent des informations mécaniques, acoustiques, visuelles de façon très optimisée car il s’agit de leur survie. Ce qui permet de concevoir des capteurs avec une grande rapidité de calcul et peu de mémoire.
Mouvement industriel chez Festo
Leader mondial de solutions d’automatisation industrielle, Festo a créer un département de biomimétisme.
- L’entreprise s’est ainsi inspirée de la raie manta pour développer un préhenseur. Cet animal a en effet une façon très particulière de se mouvoir. Il est possible de reproduire ses nageoires avec des entretoises pour aboutir à un préhenseur qui enrobe le produit afin de le tenir de manière sûre et douce, à l’inverse d’une pince. Ce qui intéresse le secteur agroalimentaire, par exemple.
- Le caméléon adapte la forme de sa langue à sa proie. Le FlesShape Gripper fait de même pour saisir des formes complexes ou différents objets en vrac, et ce, sans réglage. Le système est également utilisé en cobotique : le préhenseur se rétracte sur lui-même en cas d’interférence avec l’opérateur.
- Le gecko a également inspiré Festo pour créer des préhenseurs qui ne laissent pas de trace sur l’objet.
- Le muscle pneumatique en forme de tube avec un côté bouché se contracte et se rétracte comme un biceps, avec de l’air comprimé. Il est utilisé pour régler des tensions de courroie, mettre en forme des pièces, emboutir des jantes de voiture, effectuer des tests de fatigue. L’absence de tige de vérin qui entre et qui sort permet de travailler dans des conditions extrêmes.
- Comment mener un projet d’innovation bio-inspirée ?
La première phase d’abstraction du problème technique consiste à interroger la biologie, de visiter le monde du vivant pour voir s’il existe des solutions au problème abstrait, avant de retourner dans le monde technique pour trouver la solution.
Les compétences peuvent être intégrées ou non dans l’entreprise. Le Ceebios (Centre d’Études et d’Expertise en Biomimétisme) accompagne également les entreprises.
Pour se lancer dans un projet bio-inspiré, Bioxegy, premier bureau d'études et d'ingénierie français est spécialisé dans le biomimétisme. L'entreprise accompagne les entreprises de toute taille pour imaginer, concevoir et développer des innovations bio-inspirées.
" Le biomimétisme permet de répondre à tous les enjeux des filières industrielles : énergie, eau, déchets, aéronautique, naval, agroalimentaire, cosmétique, etc. La fabrication additive accélère et facilite l’adoption par l’industrie de projets bioinspirés. »
Chrystelle Roger, présidente de Myceco
« Financé par la BPI, le programme BiOMIg vise à créer une base de données inédites des matériaux du vivant et à développer des plateformes numériques et techniques d’accompagnement à l’éco-conception biomimétique et au prototypage de matériaux bio-inspirés. »
Adrien Saint-Sardos, chef de projet matériaux Ceebios
"J'en appelle à toutes les entreprises : le biomimétisme est un outil d'innovation inédit. Il concilie parfaitement progrès technologique et écologie. Sachons saisir cette opportunité, parce que les autres ne nous attendrons pas."
Sidney Rostan - Founder & CEO Bioxegy