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Actualités Prospective Industries
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Et si le progrès n’était plus synonyme de haute technologie ?

L’amélioration de la condition humaine passe-t-elle forcément par davantage de technologies ? La question est posée au moment où les limites des ressources planétaires conduisent à s’interroger sur le progrès et le recours des hautes technologies au regard des enjeux. Low ou high tech, c’est l’utilité sociale qui compte.

Digitalisation, Industrie 4.0, Industrie du Futur… : plusieurs dirigeants de différents secteurs industriels remettent en cause la place prépondérante des nouvelles technologies et la vitesse de leur développement. « Il faut rejeter l’hypothèse de progrès technique permanent qui viendrait repousser les limites, témoigne Assen Slim, chercheur associé à l’IRIS. Il existe une nouvelle forme de radicalité liée à la prise en compte des limites planétaires. Par exemple, les mots « sobriété » et « décroissance », qui s’inscrivaient dans le champ lexical de la radicalité dans les années 70, sont dorénavant très régulièrement employés par les politiques. »

Une remise en cause du progrès technologique ?

Augmentation des pannes liées à la digitalisation, obsolescence des composants, risques d’approvisionnement, manque de compétence pour le maintien en condition opérationnelles, plus grande vulnérabilité cyber... Ce sont les problématiques mises en avant par plusieurs dirigeants remettant en question le tout digital prôné par les concepts de "l'industrie du futur". De manière générale, nombre d'entre eux acceptent le fait que la digitalisation des outils de production engendre un certain manque de résilience.

Un autre dirigeant s’interroge sur la déshumanisation liée à la robotisation : « À quoi cela sert d’ultra-robotiser des fonctions et des tâches si c’est pour détruire de la main d’œuvre ? Cela pose la question de l’acceptation sociale d’un low-job ? Une certaine vision de la société a fait qu’un emploi tertiaire est mieux valorisé qu’un emploi manuel. Avons-nous demandé que les caisses de supermarché soient robotisées ? Cela déshumanise encore plus les activités industrielles ».

De là à remettre en cause le progrès technologique ? Certaines sphères sociales contestent l’idée que l’amélioration des conditions humaines passe forcément par toujours davantage de technologie. Par exemple, constate cet industriel : « En Ukraine, on se rend compte que le fait d’avoir mis de l’électronique partout rend les équipements militaires moins résilients, surtout sur la capacité des soldats à remettre en état de marche les équipements qui dysfonctionnent. »

Sur le MIPIM, salon immobilier de Cannes, les grandes entreprises remettent en question le smart building au profit de la low-tech. Pour Réana Tahéraly directrice du développement institutionnel du promoteur Réalités, « notre industrie a cru que la smart city allait nous sauver. Aujourd’hui, on ne peut plus se cacher derrière, elle n’aborde pas tous les enjeux, climatiques et sociaux. Il est devenu incontournable, avant tout projet, de se poser la question de l’utilité de la technologie au regard de ces enjeux ».

« La low-tech, c’est ce que j’appelle le bon sens paysan »

 D’où la percée des low-tech relevée par Alain Fustec, directeur Goodwill Management, cabinet de conseil en stratégie responsable : « Voilà quelques années, quand on parlait de low-tech, on nous prenait pour des zadistes, maintenant on est pris au sérieux ». Aujourd’hui, les écoles d’ingénieur s’emparent du sujet.

De fait, la raréfaction des matières premières invite à « faire avec moins ». Pour cet industriel, « la low-tech, c’est ce que j’appelle le bon sens paysan, soyons à la pointe mais pragmatique. Dans les innovations technologiques, il y a des lignes de forces qui nous poussent à faire du big-data, mais est-ce que cela est pertinent et résilient sur le long terme ? Une économie de guerre peut être vertueuse. Lorsque l’on va se rendre compte que l’on ne pourra pas importer des composants venant de Chine, on sera bien embêté avec notre big-data en panne ».

 « Cela conduit les acteurs des low-tech à réinvestir autrement la notion d’innovation »

 La low tech questionne la technologie et le discours de progrès. Il s’agit de remettre en cause la neutralité des technologies pour débattre de leur intérêt. Selon Alain Fustec, « cela conduit les acteurs des low-tech à réinvestir autrement la notion d’innovation, en laissant plus de place aux inspirations à partir de techniques anciennes, aux innovations organisationnelles et à la suppression, plutôt qu’à l’ajout, de fonctionnalités ou d’éléments. Est-ce que je peux déconnecter ? Est-il possible de dénumériser ? de désélectrifier ? de démécaniser ? Voilà les quatre questions auxquelles il est nécessaire de répondre dans la conception des biens ».

Ce qui ne conduit pas à rejeter en bloc le progrès ou les hautes technologies, au contraire. Une étude sur les low-tech réalisée par l’Ademe en 2022 montre que leurs acteurs souhaitent limiter le déploiement des hautes technologies à des secteurs dans lesquels elles seraient réellement utiles, comme la médecine ou l’assainissement de l’eau. Comme le souligne Antoine Sellier, responsable national Promotion Privée Chez GRD « la Low-tech s’articule autour de trois axes : le juste besoin, le discernement technologique et l’échelle ».

Point de vue

« On est en train de sortir du dogme de la mondialisation, de la consommation intensive, notamment des matières premières et de l’intelligence partout. Finalement, est ce bon pour le business de mettre autant d’options, de fonctionnalités, d’électronique ? On s’interroge sur le cœur de l’usage du produit. La tendance est d’ajouter des fonctionnalités, du digital, de l’intelligence... Pourquoi toujours ajouter de l’électronique, qui d’ailleurs peut créer plus de panne ? C’est de l’écodesign frugal qui se concentre sur la fonctionnalité qui parait le plus résilient. »

« J'ai beaucoup de mal avec le concept d'Industrie du Futur ou de low tech. L'objectif c'est la finalité de la technologie. Un bon ingénieur doit concevoir en fonction des besoins du client et de la finalité. Imaginer une machine pour un client indien qui manque d'énergie sans intégrer la frugalité, c'est une erreur de conception. Le fait de trop conceptualiser les choses, cela nous dédouane de nos responsabilités. »

Pascal Denis, Vernet Behringer 

 

« Le digital ne règle pas les problèmes. Si vous avez un problème et que vous automatisez, vous avez juste automatisé le problème. »

Philippe Roux, COO'PR

« Nous sommes spécialisés dans les solutions à base de cordages synthétiques aussi bien pour l'activité nautique, l'aéronautique et les secteurs industriels. Nous utilisons tous les outils high tech pourvu qu'ils nous apportent quelque chose. Nous faisons également de la low tech qui consiste à faire la même chose avec moins de matière, plus simple et plus sobre. Le low tech, c'est high tech. »

Thibault Reinhart, INO-Rope 

 « L’industrie du futur et tous ses outils, c’est un moyen de faciliter la vie des gens. Les tâches ingrates, on les fait faire par des robots. C’est plus intéressant de piloter un robot que de charger des pièces toute la journée. Cette industrie est là pour rendre service. » 

Céline Hugo Viollet Industrie